Au temps du roi Edouard
qui se respecte.
Elle remarqua par terre le filet à provisions de Maud qui, bourré de paquets volumineux, faisait ressortir l’élégance de la canne de Sébastien. À regarder ces accessoires si disparates, on mesurait la différencequ’il y avait entre ces deux personnages… Ah ! si elle avait seulement pu fermer les yeux et se boucher les oreilles pour échapper à ce triste spectacle !… Non, jamais Sébastien ne reviendrait…
* * *
Mais il revint. Quand il partit, s’appuyant sur sa canne, il pria Thérèse de l’autoriser à revenir pour remercier le docteur.
— Je suis désolé d’avoir manqué votre mari…
Mais Thérèse savait parfaitement que son mari n’avait rien à faire dans l’histoire. C’était elle que Sébastien voulait voir : elle le savait par la façon dont il la regardait : un regard inquisiteur et profond, le regard que Sébastien posait sur toutes les femmes, même sans arrière-pensée. Cette fois-ci, il avait une arrière-pensée. Personne ne pouvait jamais prédire où soufflerait le caprice de Sébastien, mais le voir tourner dans la direction de Mme Spedding étonna tout le monde. Seulement, Sébastien s’ennuyait ; il avait connu toutes sortes de femmes (des femmes à la mode, des prostituées, candidates douteuses aux plus hautes situations, des aventurières, des voleuses, des actrices) et pas une n’avait piqué sa curiosité, tandis que cette petite Thérèse, si sotte et si jolie, qui le regardait avec des yeux étonnés et admiratifs, et qui avait tellement honte de sa charmante et vulgaire belle-sœur, pourrait l’amuser pendant huit jours, et, en tout cas, était un type de femme qu’il ne connaissait pas encore. C’était là un désir assez faible et peuflatteur pour Thérèse ; mais Sébastien n’était pas en état d’éprouver un sentiment de qualité. Non qu’il eût l’intention de faire du mal à Thérèse. Sébastien était un de ces êtres charmants, mais dangereux, qui ne font jamais de mal, sauf involontairement ; le mal intime qui le dévorait n’était connu de personne ; il ne donnait jamais rien de lui-même, en dehors des choses qu’il était obligé de donner ; ses regards, sa gravité, son lent sourire, ses manières caressantes, qui, jointes à son arrogance, attiraient et exaspéraient tant les femmes. Le sentiment de son propre détachement le persuadait de leur immunité. Il jouait avec une balle inoffensive un jeu qui ne devait faire de mal à personne. Puisqu’elles lui renvoyaient la balle, c’est qu’elles connaissaient les règles du jeu.
Thérèse était complètement éblouie par Sébastien. La brusque irruption du jeune homme dans sa paisible existence lui paraissait non seulement fantastique, mais incroyable. Toutes ses théories en étaient bouleversées. Elle comparait ses économies mesquines à l’insouciante prodigalité de Sébastien, sa soif ardente et envieuse du grand monde à la hautaine indifférence du jeune duc. Elle était épouvantée quand il remplissait sa maison d’orchidées ; elle le gronda quand il les emmena au théâtre, elle et son mari, dans une loge où la quatrième place resta vide.
— Quel gaspillage ! s’exclama-t-elle, vraiment navrée.
Elle ne comprenait pas qu’il restât insensible aux choses qui l’enthousiasmaient si facilement, comme la beauté d’une actrice en vogue ou d’un attelage qui descendait la rue ; elle le jugeait méprisant, paradoxalet gâté. Cependant, elle l’adorait pour tout cela, et prenait la résolution de se montrer dédaigneuse à l’avenir, de redresser la tête et de ne plus lui donner l’occasion de se moquer de ses joies naïves. Heureusement pour elle, toutes ces résolutions s’évanouissaient à la première occasion. Thérèse était incapable de dissimuler. Elle battait des mains, poussait des cris de joie, prenait Sébastien à témoin et elle se rappelait trop tard qu’elle avait résolu de jouer à la grande dame. Alors, elle devenait distante et le restait pendant un quart d’heure. Il aurait aimé l’entendre raconter des histoires sur Mme Tollputt, mais Thérèse était incapable d’imiter les Tollputt et, d’ailleurs, elle n’y tenait nullement, jugeant l’intérêt de Sébastien tout à fait incompréhensible.
— Mais pourquoi tenez-vous tant à savoir ?… disait-elle, lorsque Sébastien lui demandait si M. Tollputt était marguillier. Oui, et ils dînent souvent chez l’évêque ; enfin, pas
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