Au temps du roi Edouard
Thérèse, tomba mal à propos. Sébastien ne l’avait pas prévenue de sa visite et se fit annoncer par une femme de chambre, complètement ahurie, au moment où Thérèse était en train d’offrir le thé à sa belle-sœur, arrivée de Dorking avec un billet à prix réduit pour passer la journée à Londres. Thérèse n’avait pas fait de frais de toilette, mais s’était promis une bonne heure de bavardage sur la famille de John et sur les prix de Whiteleys et de Barkers, sujets qui intéressaient également Mme Spedding et Mme Tollputt.
L’arrivée de Sébastien fut un coup de théâtre. La pauvre Thérèse ne savait comment concilier ces deux éléments contradictoires. Tandis qu’elle présentait Sébastien à Mme Tollputt, elle chercha désespérément comment elle pourrait empêcher à la fois Mme Tollputt de parler de ses taies d’oreiller et Sébastien de révéler quels subtils hasards les avaient mis en relation. La première impression fut bonne. Thérèse, tout agitée qu’elle était, s’en rendit compte.
Mme Tollputt, pour employer ses propres paroles, tomba à la renverse. Elle était loin de se douter que Thérèse avait de tels amis. Des ducs ! Quelle bonne histoire à raconter à maman, demain !… Mais, si elle y allait tout à l’heure, ce soir même ? Mme Tollputtconsulta discrètement sa montre qui pendait à sa châtelaine. Thérèse aperçut ce regard et, n’osant trop espérer de cette sécurité précaire, insinua que Maud ne devait pas risquer de manquer son train. Mme Tollputt s’indigna :
— Enfin, Thérèse, vous savez bien que les billets à prix réduit donnent droit au train du théâtre : onze heures quarante. Voyons, vous devriez vous le rappeler, étant donné le nombre de fois que vous et John, quand vous habitiez Dorking… !
Thérèse lança un coup d’œil rapide à sa belle-sœur, et Mme Tollputt, qui se vantait d’avoir l’esprit vif, comprit qu’elle avait été maladroite…
— Oh ! c’est vrai, il y a si longtemps que vous avez quitté Dorking ! Vous avez dû oublier… Croiriez-vous…, continua-t-elle, s’adressant à Sébastien.
Son éloquence s’interrompit soudain, car elle ne savait pas si elle devait dire : « Votre Grâce » ou : « duc ».
— Croiriez-vous, reprit-elle, décidée à rester dans l’anonymat, que j’ai eu un billet d’aller et retour pour vingt-cinq sous ? Le mercredi, s’entend. Et croyez-moi, duc, s’écria-t-elle, oubliant toute réserve à mesure que son enthousiasme débordait, ça n’est pas à dédaigner un jour de soldes. Je vous assure que j’ai gagné plusieurs fois le prix de mon billet. Chez nous, on nous écorche, c’est effrayant. Auriez-vous jamais cru, dit-elle, en se tournant vers Thérèse, et revenant au ton de leur conversation avant l’entrée de Sébastien, Judd voulait me faire payer dix shillings une paire de draps de domestiques, alors que, chez Barker, je les ai eus pour sept shillings six deniers. La différencen’est pas énorme, peut-être, mais, répétée plusieurs fois, cela finit par faire un chiffre dans le budget de l’année. Voilà ce qu’aucun homme ne comprendra jamais, quoique vous, duc, fit-elle, revenant soudain à la réalité, vous n’ayez jamais eu besoin de vous occuper de ces choses… Le duc a sans doute une gouvernante qui s’en occupe pour lui. Eh ! dit-elle, en se tournant vers sa belle-sœur, consternée. Enfin, vous connaissez sans doute mieux ses affaires que moi, eh !
Avec un petit rire étouffé, Maud plongea le nez dans sa tasse. Ceci arrêta momentanément le flot de ses paroles, mais c’était une faible consolation pour Thérèse, car elle savait que Maud recommencerait dès qu’elle aurait fini de boire. Elle était à la torture de penser que Sébastien aurait pu venir n’importe quel autre jour, quand Maud n’était pas là… Maintenant, il ne reviendrait certainement jamais. Elle le regardait, assis devant elle, mince et élégant dans son costume noir – « Ses cheveux sont comme du cuir verni », se disait-elle –, sa canne d’ébène posée par terre à ses côtés, écoutant dans une attitude pleine de déférence et de courtoisie les paroles de Maud. Comme il était grave et beau ! Malgré cela, comme il devait s’ennuyer, songeait la malheureuse Thérèse en regardant sa belle-sœur, si lourde, si rustre, si bavarde, serrée dans son corsage de velours prune comme toute femme de commerçant
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