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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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rencontre, simplement « parce qu’il lui plaisait ». Elle le lui expliqua avec la plus extrême franchise, ajoutant que, lorsqu’elle serait fatiguée de lui, elle le laisserait tomber.
    Sébastien, qui n’était pas habitué à être traité de la sorte, fut enchanté de ce discours. Allongé sur le divan, au milieu des assiettes à moitié vides, il la pressait de questions, à l’affût de nouvelles découvertes. Elle s’était sauvée de chez elle à l’âge de dix-sept ans ; elle avait servi dans un restaurant ; là, Augustus John l’avait remarquée.
    — Et alors ?
    — Alors, il a fait mon portrait. Il disait que j’étais son type.
    Elle l’était, en effet, avec ses cheveux noirs coupés court, sa bouche rouge et généreuse, sa gorge blanche et ferme, l’éclat de son teint.
    — Et après ?
    — Après, beaucoup d’autres ont fait mon portrait.
    — Mais vous n’avez jamais vécu avec aucun d’eux ?
    — Vous avez pu vous rendre compte que non…
    — Pourquoi non ?
    — Je ne les aimais pas assez… Quelquefois, j’étais terriblement pauvre…
    — Que voulez-vous dire ?
    — Je n’avais pas assez à manger.
    — Pas assez à manger… Vous aviez faim ?
    — Horriblement faim. Je m’évanouissais.
    Pour la première fois, Sébastien comprit que des gens, en dehors des vieilles femmes qui vendaient des allumettes sous les voûtes, pouvaient avoir faim. Il se rappela les repas interminables de Chevron.
    — Vous vous évanouissiez… de faim ? demanda-t-il, incrédule.
    Cette incrédulité la fit rire.
    — Naturellement, cela arrive à beaucoup de gens… Quand j’étais en fonds, je ramenais les camarades et je leur donnais à manger.
    — Quoi ?
    — Oh ! des œufs, des sardines, du saucisson. Cela dépendait. Si j’étais riche, il y avait un morceau de viande froide.
    — Et ne faisaient-ils pas de même pour vous quand vous n’étiez pas riche ?
    — Naturellement. Nous nous entr’aidions. Seulement, parfois, nous étions tous fauchés en même temps. Mais pourquoi ces questions ? Tout cela est triste et guère intéressant. C’est seulement drôle pour vous parce que c’est quelque chose que vous n’avez jamais connu.
    — C’est l’essence même du romantisme, fit Sébastien gravement.
    Phil le regarda, stupéfaite.
    — Oh ! vous êtes trop intelligent pour moi. Vous ne trouveriez pas que c’est romantique si vous saviez ce que c’est. Mais n’en parlons plus, puisqu’en ce moment je n’ai plus besoin de me préoccuper de ces choses.
    — Vous n’aurez plus jamais à vous en préoccuper…
    — Oh si !… Quand vous serez fatigué de moi, ou moi de vous. Mais pourquoi s’inquiéter de l’avenir. Remontez le gramophone… Dansons… Faisons quelque chose… Ou si on sortait ? (Sortir, c’était aller au Café Royal.) On rencontrerait peut-être Viola.
    — Est-ce que Viola y va souvent ? demanda Sébastien avec curiosité.
    La vérité sur la vie de Viola commençait à se faire jour, lentement, très lentement.
    — Oh ! oui !… dit Phil, indifférente : elle y va depuis des années. Autrefois, elle donnait un faux nom ; nous l’appelions « Lisa » parce qu’elle ressemblait à la Joconde. Mais, depuis qu’elle habite Londres, elle vient sous son vrai nom. Je ne comprends pas pourquoi elle se donnait tant de peine pour le cacher. Tout le monde savait qui elle était.
    Sébastien recula devant la tâche ardue d’expliquer à Phil pourquoi Viola prenait tant de peine à dissimuler son véritable nom. De telles explications, il le savait par expérience, ne signifiaient rien pour Phil.
    — Ne sortons pas, dit-il, bien que, parfois, il aimât s’asseoir avec elle au café. Je suis si heureux de causer avec vous.
    C’était vrai. Il se demandait, maintenant, comment il avait pu supporter les bavardages de Mme Lewison ou de la duchesse de D…
    Phil, élevée à une rude école, était brutale et franche, ni frivole ni sensuelle. Bien que fragile de corps, elle avait l’esprit sain et fort ; elle avait décidé, depuis longtemps déjà (elle avait aujourd’hui vingt-deux ans), ce qui, dans la vie, avait du prix et ce qui n’en avait pas. Sébastien n’était pas victime des illusions d’un amant, quand il déclarait que Phil était pure. Le meilleur en lui avait rencontré le meilleur en elle. En littérature, en art, comme en musique, son goût, bien que primitif, était toujours sûr ; elle avait un

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