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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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avait entre eux autre chose que de l’amitié. Phil, au contraire, se jetait à son cou dès qu’il entrait, lui prodiguait mille caresses, venait se blottir contre lui sur le divan ou s’asseyait sur ses genoux. Sébastien pensait que, du moment qu’elle n’était pas une prostituée, elle n’aurait pas dû se conduire comme si elle en était une. Il ne lui en voulait pas, certes, car il savait que cette navrante franchise cachait l’âme la plus honnête qui fût (sauf celle de Léonard Anquetil). Mais il finissait par admettre que son incursion dans la bohème était un échec de plus. Il savait que Phil le laisserait partir dès qu’il en manifesterait le moindre désir et qu’elle nechercherait jamais à le retenir contre sa volonté. Elle souffrirait peut-être (il ne pouvait supporter cette pensée), mais elle était brave, elle était orgueilleuse ; elle ne se plaindrait pas ; elle lui dirait d’en finir au plus vite. Elle sourirait en lui disant adieu, même si elle devait, ensuite, s’effondrer sur son divan et déchirer les coussins avec ses dents. Cette pensée seule le retenait près d’elle et le faisait hésiter.
    Sébastien avait des scrupules et, par respect des conventions, il lui avait demandé un jour, libérant ainsi sa conscience :
    — Phil, m’épouseriez-vous si je vous le demandais ?
    Elle avait éclaté de rire.
    — Adorable Sébastien ! je vous attendais là ! Je savais que vous vous croiriez obligé de me poser un jour cette question, vous, le gentleman qui a séduit une innocente jeune fille. C’est bien cela, n’est-ce pas ? Eh bien, ma réponse est non, mille fois non, je vous remercie. Quoi ? Moi, une duchesse ? Et il faudrait que j’habite votre horrible vieille maison, que je m’habille tous les soirs pour dîner, que je fabrique un héritier, que je fasse des courbettes à vos vieilles tantes et à vos vieilles grand-mères, que je dirige un régiment de domestiques et que je ne retrouve plus jamais mon chez-moi ? Très peu, merci ! D’ailleurs, mon chéri, vous en seriez aussi navré que moi. Je choquerais tout le monde. Non, quand le moment sera venu, vous épouserez quelque « demoiselle comme il faut » qui sera une épouse accomplie. Vous pourrez m’inviter à votre mariage, si vous voulez. Où ? À Westminster Abbey ? Je voudrais bien vous voir en uniforme…Maintenant, voilà l’affaire réglée. Avouez que vous êtes soulagé ?
    Sébastien était soulagé. Il l’aima avec une ardeur nouvelle.
    Cependant, le jour vint où il ne put la supporter davantage. Ainsi qu’il l’avait prévu, elle ne fit pas d’histoires. Elle refusa une rente de mille livres, ajoutant que l’insulte n’était pas de la quitter, mais de lui proposer cet argent. Au moment de partir, il s’aperçut que son souci de l’ordre avait autant choqué Phil que son désordre à elle l’avait irrité :
    — Ça n’aurait pas pu durer longtemps ; l’amour, seul, nous permettait de nous entendre.
    Dans ces deux petites phrases, sages et tristes, Phil résuma le sort tragique de ceux qui luttent pour atteindre le bonheur.
    Après, il fut très malheureux. Son bon sens seul l’empêcha de retourner à Phil. Puis, fidèle à sa nature, il s’arracha à cet abîme et courut d’un extrême à l’autre. Il chercha la demoiselle comme il faut. Il se précipita vers la fille la plus ennuyeuse, la plus gentille, la plus laide qu’il pût trouver ; il se précipita vers l’Alice de lady O…
    Il n’aimait pas Alice. Il la haïssait presque. Il la haïssait d’être si exactement ce qu’elle devait être. On ne pouvait nier qu’Alice fût pour lui l’épouse rêvée ; elle avait une compréhension profonde de Chevron (dont s’irritait amèrement Sébastien, bien qu’il n’en laissât rien paraître), elle possédait un génie réel pour gagner la confiance d’hommes comme Bassett ; elle comprenait Sébastien, le vrai Sébastien, comme ni Sylvia, ni Thérèse, ni Phil, ne l’avaient jamais compris. Maistelle était la perversité de Sébastien que, plus elle le comprenait, plus il la détestait. Pour lui, Alice symbolisait la défaite ; Alice, c’était renoncer définitivement à son indépendance, c’était avouer qu’il n’avait pas trouvé moyen de fuir, c’était donner raison à Anquetil. S’il l’épousait, sa vie serait tracée d’avance pour le reste de ses jours. Sébastien, malheureux, prenait un plaisir farouche à cette perspective

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