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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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intolérable.
    * * *
    Le nouveau régime contribuait peut-être à assombrir Sébastien, car il sentait, comme tout le monde, que la mort du roi marquait la fin d’une époque et que l’avenir était lourd d’agitation et d’inquiétude. Pour se consoler autant que pour inquiéter sa mère, il afficha des théories démocratiques ; il annonça son intention d’entrer dans le parti socialiste, il désavoua le privilège sous toutes ses formes et cria à qui voulait l’entendre qu’il n’assisterait sous aucun prétexte à cette mascarade que serait le couronnement. Seulement, pendant ces longs jours (telle était sa faiblesse), tous ses actes démentirent ses prédictions. Alice seule en était une preuve. Sébastien, comme Anquetil le lui avait dit, était né prisonnier, et ses fers lui étaient chers, bien qu’il prétendît lutter contre eux.
    — Excusez-moi, Votre Grâce. Dois-je envoyer votre costume chez le teinturier ?
    — Mon costume ? Quel costume ?
    — Le costume du couronnement, Votre Grâce.
    — Est-ce que les mites ont mangé l’hermine ?
    Le valet était indigné. D’un air de reproche, il corrigea la supposition inexacte de Sébastien.
    — Certainement non, Votre Grâce. Le petit-gris est conservé dans le camphre et on le met à l’air deux fois par an.
    — C’est tout ce qu’il mérite. Alors, pourquoi l’envoyer au teinturier ?
    — La doublure est un peu sale, Votre Grâce, autour du cou. Le grand-père de Votre Grâce, le dixième duc, a porté le costume au couronnement de la reine Victoria.
    — Je n’irai pas au couronnement.
    — Non, Votre Grâce. Mais dois-je envoyer tout de même le costume au teinturier ?
    * * *
    Sébastien alla au couronnement. Le 22 juin, on l’éveilla à l’aube ; des nuages couraient dans le ciel et, malgré la douceur de ce matin d’été, l’heure était glaciale. Regardant par la fenêtre, tandis qu’il enfilait la culotte blanche de son uniforme, Sébastien songeait qu’un tel matin aurait mieux convenu à certaines îles d’Écosse qu’aux grilles de Grosvenor Square. Mais il ne fallait pas penser aux îles d’Écosse ni aux bons jours qu’on y avait vécus, quand on était prisonnier d’une telle pompe. Ses vêtements étalaient leur velours rouge et leur petit-gris sur le dossier d’une chaise ; sa couronne et ses gants l’attendaient sur une table voisine. Son valet, qui vivait le plus beau jour de sa vie, s’agitait autour de lui avec la tunique et les bottes qu’ilenfilait, ajustait, boutonnait. Son carrosse l’attendait devant la porte, le vieux carrosse familial qui avait servi pour le couronnement de la reine Anne, de tous les George, de Guillaume IV et de la reine Victoria, le carrosse familial avec ses larges armoiries peintes sur chaque panneau, ses poignées et ses ressorts d’argent enroulés comme des serpents. Sur le haut siège, orné de franges, se tenait le vieux cocher qui avait appris à Sébastien à monter à cheval, heureux de rentrer dans ses fonctions d’antan, ne fût-ce qu’un seul jour (on lui avait fait quitter les chevaux pour apprendre le métier de chauffeur).
    — Mon Dieu, pensa-t-il, est-ce qu’il va falloir monter dans ce corbillard ?
    Et il contempla, incrédule, les deux valets de pied qui, dans leur livrée de gala, se tenaient sur le trottoir, timides, mais importants, regardant avec méfiance le siège arrière où ils devaient sauter…
    Devant le perron, les femmes de chambre et les filles de cuisine se pressaient pour le voir partir. Sébastien s’efforça de sourire, tout en ramassant d’un geste gauche son long manteau, comme une jeune fille relève sa première jupe. Un murmure d’admiration parcourut le groupe ; les yeux s’écarquillèrent ; toutes les servantes, à ce moment-là, étaient plus ou moins amoureuses de « Sa Grâce » ; celles d’entre elles qui ne quittaient pas les sous-sols ne l’avaient jamais encore aperçu et croyaient, le voyant ainsi armé de pied en cap, que c’était là son costume habituel. Elles n’auraient rien trouvé d’étonnant à ce que Sa Grâce parcourût le terrain de golf dans son costume du couronnement.
    Il descendit rapidement les marches sans savoir que ses vêtements se gonflaient derrière lui en vagues écarlates et qu’une émotion violente étreignait le cœur de ses subordonnés. Comme il devait être ridicule ! C’était son unique pensée, si tant est qu’il pût avoir une pensée

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