Avec Eux...
particulier. On planquait depuis trois jours dans ce car-régie, et on ne pouvait pas installer de caméra ni de lumière pour ne pas affoler les lions. Nous filmions donc avec des caméras à visée laser, et on baignait dans la lumière verdâtre de leurs images, que vous connaissez depuis les reportages de la guerre du Golfeâ¦
Je ne peux oublier ce petit matin, quand les lions sont finalement arrivés. Ce fut un vrai frisson esthétique, et je suis bien consciente que peu de gens ont vécu cela dans leurvie. Bizarrement, on est à la fois habité par un sentiment de contemplation de la nature, mêlé de peur. La scène est passée dans Ushuaïa et sâinscrivait dans le contexte dâun reportage complet, un « spécial Namibie ». Les photographes travaillant pour National Geographic planquent parfois huit mois pour avoir la bonne photo, celle qui fera la une du magazine ou celle qui déterminera le sujet. De la même manière, Ushuaïa suscitait des attentes très longues avant le moment où lâanimal serait là . Lâhistoire des lions sâest reproduite avec dâautres animaux, particulièrement avec le rhinocéros blanc, une des espèces les plus rares en Afrique australe, et là encore nous avions planqué pendant des heures.
Pour revenir à la Namibie, nous vivions dans un camp totalement isolé, comme enfermés dans une petite prison, avec un grillage tout autour du camp pour que les animaux sauvages ne puissent pas y entrer. Câétait au milieu de nulle part, à mille kilomètres de tout lieu habité. Un soir où lâune de mes amies, Anne, et moi-même étions fatiguées dâavoir passé du temps à attendre éternellement cette fameuse image, nous sommes rentrées dans le camp par nous-mêmes, toutes seules. Tout le monde nous disait que nous étions folles, quâil ne fallait pas partir ainsi mais seulement avec des guides. Mais nous connaissions le chemin par cÅur, donc nous avons pris une Jeep, on a regagné le camp, et on est allées se changer dans nos petites chambres « cellules ». Il nây avait rien à manger, on grignotait des vieux morceaux de pain sec, sans doute destinés à des animaux de la ferme.
Puis, à un moment donné, on a eu envie de se balader pour sâaérer. En marchant jusquâau bout du camp, on découvre quâil y a⦠un lion ! Il sâétait glissé dans le camp, et ce nâétait pas un « petit » lion. La porte, par laquelle nousétions entrées peu avant, était restée entrouverte. Anne et moi, on est tout dâabord restées tétanisées. On nous avait bien appris que, en face dâun animal sauvage, la seule chose à faire était surtout de ne pas courir, surtout ne pas montrer la moindre panique, mais quâau contraire il fallait ne pas bouger, voire se coucher sur le sol. Mais ce nâest pas une attitude naturelle, la première réaction est dâavoir peur, donc on a eu peur, mais alors tellement peur quâon a couru comme des dingues, tout le contraire évidemment de ce quâil fallait faire ! Au début, le lion nâest pas venu tout de suite vers nous, car, contrairement à ce quâon imagine, les animaux sauvages ont plus peur de lâhomme que nous avons peur dâeux. Enfin câest ce quâon raconte dâun ton docte quand on est à Paris dans un bureau climatisé, mais je crois que je nâai jamais couru aussi vite de ma vie, et Anne non plus ! Il faisait cinquante degrés à lâombre. On ne voulait pas se réfugier dans les petites cellules chambres, parce quâun lion en aurait aisément brisé les portes en bois à claire-voie. Il nous fallait absolument trouver un endroit sûr, et nous nâavions pas vraiment le temps de réfléchir, alors on sâest ruées dans une espèce de réserve frigorifique où on entreposait normalement la nourriture. En lâoccurrence, il nây avait pas un gramme de vivres là -dedans, mais on y est restées enfermées, à geler sur pied pendant je ne sais combien de temps, jusquâà ce quâon nâentende plus ce bruit très spécifique que fait un lion, qui nâest pas du tout un rugissement mais plutôt un ronronnement sur une fréquence très grave. On est
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