Avec Eux...
square à elles, mais un square sans fleurs ni balançoires, sans moineaux ni pigeons picorant des miettes de goûters, sans buissons dâifs où les petits jouent à cache-cache. Elles y sont libres dans leur tête, seulement⦠Ou du moins elles en ont la fugace illusion.
La séparation à dix-huit mois est un déchirement. Monica Gicquel raconte dâailleurs combien elle est passée par des épisodes difficiles : les mères incarcérées ne supportaient pas de la voir repartir avec leur enfant. Elle se souvient de moments très violents, au point quâelle dut sonner pour appeler à lâaide les gardiens, parce que les mères devenaient agressives. Il y avait parfois une forme de rivalité. Certaines mères nâappréciaient pas que leur enfant pleure dans leurs bras, et pas dans les siens. Câétait très dur à vivre pour elles. Monica était libre, elle, et elle leur arrachait leur enfant. Je mâattendais à vivre un peu la même chose, et jâappréhendais cette rencontre hors du commun.
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Aujourdâhui nâest pas un jour comme les autres, Samia, la petite fille de Talia, la plus jeune des arrivantes, a eu une autorisation spéciale . Celle de pouvoir, pour quelques heures, découvrir son père incarcéré lui aussi. Nous sommes là pourrencontrer sa maman que nous nâavons jamais croisée avant, pour lui « prendre » son bébé de trois mois, lâemmener jusquâau centre de détention de Val-de-Reuil, près de Rouen, puis la ramener à dix-huit heures. Tout a lâair clair sur le papier, mais cela nâest pas si simple dans ma tête. Un véritable poids pèse sur mes épaules quand je pense à la tristesse de cette situation. De plus, je suis submergée par une foule de questions : Talia va-t-elle pleurer, peut-être même me supplier lorsque nous allons emmener son enfant ? Saurai-je trouver les mots pour lâapaiser ? Pour me rassurer, Michel dédramatise le contexte avec le plus humain des sourires, que je lui connais bien. Il me parle de son père, de la douleur dâautrui, du regard à lâautre, mais aussi de la distance à conserver. Il connaît tout cela par cÅur, lui qui privilégie lâaspect humain et qui lâa fait tout au long de sa prestigieuse carrière. Il sait que dans notre milieu nous pouvons très vite devenir fan de nous-mêmes sans nous en rendre compte, câest dâailleurs la première maladie de ce métier. Ses paroles donnent tout son sens à notre démarche, tandis que nous nous rapprochons de la cellule de Talia, tombée pour recel avec un mari trafiquant de drogue.
Monica Gicquel mâa dit quâelle ne voulait jamais avoir accès au dossier des prisonniers. Ne pas rentrer dans leurs vies : lâimportant, pour elle, câétait lâenfant. Elle nâavait peut-être pas tort. Quelle que soit la raison pour laquelle ils ou elles étaient incarcérés, cela ne justifiait pas le fait de ne pas voir leurs enfants. Même brièvement.
En attendant je suis agressée de nouveau par ces bruits assourdissants. Ce fracas qui ne ressemble à aucun autre. La souffrance est contagieuse. Une grille encore⦠Enfin la porte de la cellule de Talia nous est ouverte. Un tour de clef pour une petite liberté éphémère. Elle se lève aussitôt avec sa filledans les bras, en nous voyant arriver. Elle veut être fière de Samia. Elle lâa vêtue comme une petite princesse des prisons, un bébé Cendrillon vêtu de satin rose, une layette de sortie, pour les grands jours. Cette rencontre, elle en a rêvé tous les jours depuis quâelle sait quâelle va avoir lieu.
Elle reconnaît instantanément Michel : comme 99 % des Français, elle le suit à la télévision. Le poste de télévision dans sa cellule est un privilège pour lequel sa famille a payé cher. Lâespace dâun instant, je vis un moment surréaliste : tout le monde pose pour la photo autour de Michel : la maman, le bébé, la gardienne et moi ! On se croirait au théâtre ou dans un studio télé, mais nous sommes pourtant dans un bien sinistre décor. Jâai quitté un monde de lumière pour entrer dans un monde dâombres, mais finalement le « jeu » est
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