Avec Eux...
à partir de quatre ans sur leur capacité à pouvoir continuer dans la vie. à quatre ans, selon leur comportement, on déterminait : « Il va peut-être servir, il ne va sans doute pas être utile. » Le jury était constitué dâinfirmières, de médecins, dâon ne sait qui. Dans le cas où un enfant de quatre ans ne se comportait pas comme on pouvait sây attendre (je ne sais même pas quels étaient les critères !), il était envoyé dans la campagne, à deux cents kilomètres de Bucarest, dans un Kamin Spittal . On a pris une voiture, sans aucune autorisation, mais avec un guide grassement soudoyé, on est partis à la recherche de cet établissement de la honte, quâon a fini par trouver. On est rentrés dans lâhôpital en apportant des bonbons (et câest quoi, apporter des bonbons à des enfants qui vont mourir ?). Par près de moins vingt degrés, il y avait des lits dehors, avec des enfants et des grands malades mentaux de trente ans partageant ces mêmes lits, sous des couvertures immondes. La plupart des « patients » étaient couchéspar terre, la nourriture mêlée à cela, avec des vrais fous (je nâaime pas employer le mot « fous », mais des malades mentaux, câest certain), mélangés à des enfants autistes, et des enfants qui devenaient fous par imprégnation. Ils avaient des yeux démesurés. Ils nous serraient de toutes les maigres forces quâil leur restait, nous qui étions venus témoigner de leur détresse ultime. Ils nous serraient comme sâils avaient compris quâon pouvait peut-être leur sauver la vie, mais câétait juste impossible.
Â
Jâai vu et témoigné quâun Ãtat a été capable de traiter ses enfants de cette manière. Nous lâavons dénoncé. Un homme mâa beaucoup aidée dans ce combat, qui dirige toujours une association en France appelée Enfants de Roumanie, câest un ancien collaborateur de M. Giscard dâEstaing, et câest surtout un homme exceptionnel parce quâil nâa pas lâché prise. Il mâa considérablement aidée à monter le pont dâadoption que TF1 a créé avec moi, à ma demande et à mon initiative, et avec le soutien du Premier ministre de Roumanie de lâépoque avec qui jâai établi une relation très personnelle, et qui sâappelait Petre Roman. Sans Petre Roman, sans TF1 et sans lâassociation Enfants de Roumanie, nous nâaurions pas pu monter ce pont dâadoption. Des centaines dâenfants ont pu être adoptés par des familles, mais certains étaient dans des états si désastreux que certaines familles, supposées pourtant vouloir accueillir des enfants avec un amour fou, les ont « rendus » par la suite, puisque les petits nâétaient pas « parfaits ». La réflexion à mener sur lâadoption repose sans doute sur cette problématique.
Câest un souvenir très fort, et je pense que jâai bien fait de dénoncer tout ça parce que désormais les choses ont un peu changé là -bas, les abandons sont plus surveillés, les enfantssont un peu mieux soignés. Désormais, les fous sont avec les fous, il nây a plus de « jugement dernier » pour les enfants de quatre ans, et ils sont à peu près scolarisés. Mais je crois que les terribles Kamin Spittal existent encore aujourdâhui, de façon très discrète.
Â
Je suis persuadée que cet élan qui me pousse vers les autres se multiplie, se conforte auprès des hommes dont jâai partagé la vie. Je connaissais le Rwanda pour y avoir observé les gorilles avec Nicolas Hulot. Je ne pouvais deviner, à ce moment précis, que jâallais revenir au Rwanda dans un tout autre contexte, un contexte effroyable, au moment dâune guerre fratricide entre lâethnie hutue et lâethnie tutsie. Jâaccompagnais cette fois Philippe Douste-Blazy, qui était certes ministre, mais qui sâétait rendu là -bas à titre humanitaire, endossant les rôles de ministre, de médiateur, de visiteur français dans un pays en guerre. Nous les Français, nous étions a priori responsables de quelques petits problèmes de ce pays.
La chose qui mâa le plus frappée,
Weitere Kostenlose Bücher