Avec Eux...
martyrs
 de Bucarest
Juste après la chute de Ceausescu, on avait, avec Anne Sinclair, montré un document sur le sort des enfants orphelins en Roumanie, des images qui étaient totalement insoutenables. Je me suis dit quâil était impensable de regarder cela sans se lever et y aller. Les enfants en Roumanie sont abandonnés, parce que les parents ne peuvent pas les élever, et les orphelinats ne sont pas des orphelinats, mais des mouroirs désespérants. Quand on entre dans ces endroits, on est déjà frappé par lâodeur, ces remugles écÅurants des excréments, de lâabandon, de la nourriture pourrissante, des rats et des insectes qui sâen délectent, etc. Il sâagit pourtant dâorphelinats, dâétablissements prévus pour des enfants. Ces enfants sont parqués, ils nâont jamais reçu la moindre caresse sur les cheveux ni le moindre baiser. Les plus petits sont attachés aux barreaux de leur lit, et ils vont laper la nourriture quâon leur jette dans des gamelles posées au bout du berceau, si toutefois on peut appeler cela un berceau. Le mot « cage » est plus approprié. Ils ne font donc aucun mouvement, ils nâapprennent jamais à marcher, jamais à bouger les bras ni à saisir les choses. Ce ne sont même pas des petits animaux, il y a juste lâinstinct de survie, et encore, les malheureux se laissent-ils mourir la plupart du temps.
Suite au reportage que jâai vu dans lâémission Sept sur sept dâAnne Sinclair, je décide de monter avec TF1 une émission en Roumanie, une fois de plus pour informer les gens et leur montrer que ce qui se passe dans ce pays est tout simplement insupportable. Avec le directeur de lâinformation de lâépoque, Robert Namias, nous sommes partis filmer lâinfilmable. Nous nous sommes rendus dans ces fameux orphelinats.
Ãvidemment, les autorités ne nous montraient que ce qui était encore à peu près « acceptable » ou visible. Mais à un moment donné, pendant le tournage « autorisé », je monte au dernier étage du Kamin Spittal . Kamin Spittal veut dire « orphelinat », mais cela veut dire aussi « hôpital psychiatrique », si lâon traduit littéralement. Je monte donc au dernier étage, et là je découvre, interdite, ce quâil y a de plus horrible au monde. Des bébés qui ne sont plus que des petits amas dâos. Il ne devait plus leur rester que quelques grammes de chair, et on faisait des tests de sida sur ces enfants, comme on le fait sur des rats ou des souris. Cet étage était protégé avec de grands morceaux de ruban adhésif qui en interdisaient lâaccès, on nâavait pas le droit dây monter. Jâai franchi ce barrage et quand je suis arrivée en haut, même si je nâavais pas de caméraman avec moi, on mâa dit : « Non, interdiction dâentrer. »
Ma détermination sâaffranchissait de tous les obstacles, dans un contexte aussi inimaginable. Alors je suis quand même entrée dans les chambres et jâai vu lâenfer sur terre. Câétait glaçant. Comme une folle, jâai commencé à vouloir décrocher tous les tubes reliés à ces tout petits enfants, parce que ce nâétaient pas des tubes destinés à les nourrir, mais des perfusions installées dans un but expérimental. Une infirmière présente mâa avoué que ces enfants étaient de toutefaçon condamnés, parce quâils souffraient déjà de maladies graves. Alors on leur inoculait le virus du sida et on faisait des tests médicamenteux sur eux. Dans quel cerveau pervers une telle idée avait-elle pu germer ?
Je prenais un gros risque, je nâétais pas dans mon pays, et puis qui étais-je pour faire cela ? Mais cette scène, je ne pourrai jamais la décoller de ma rétine.
Une fois redescendue, je demande donc à pouvoir aller tourner là -haut. On me lâinterdit évidemment, on nâa donc jamais pu vraiment filmer cette abomination, en dehors de quelques petites images volées à la caméra à visée laser, qui sont très imparfaites, mais quâon a quand même tenu à diffuser.
Il y avait encore pire que cela !
à lâépoque de Ceausescu, les orphelins étaient jugés
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