Avec Eux...

s’ébranle et nous pénétrons tous dans la cathédrale. Dans ce lieu majestueux et impressionnant où tous les grandsde ce monde sont présents, le temps est comme suspendu… Ce ne sont plus des figures politiques que je vois, mais des hommes, tout simplement. Bill Clinton réconforte la veuve de Boris Eltsine et ses deux filles, tandis qu’il est rejoint par George Bush et John Major, l’ancien Premier ministre britannique. Vladimir Poutine et son épouse présentent à leur tour leurs condoléances aux trois femmes et s’installent près d’elles. Parmi les invités présents, j’aperçois également Lech Walesa, le prix Nobel de la paix en 1983.
    La nef est surchauffée, à s’en évanouir. Le sol est entièrement recouvert de tapis carmin. Au milieu des fresques bleu et rose pâle, des statues, des marbres et des dorures, quatre gardes sont postés à chaque extrémité du cercueil trônant au centre du chœur. Le déroulement de la cérémonie est très solennel. Un chœur d’hommes entonne des chants orthodoxes, les volutes d’encens s’entrelacent dans les airs, dans le halo pâle des cierges odorants.
    Contrairement au reste de l’assistance, je ne suis pas entièrement vêtue de noir, je porte un manteau de mouton retourné taupe et noir, très chic et d’ailleurs d’allure très russe ! On m’a placée non loin de Bill Clinton. Ces funérailles sont invraisemblablement longues. La chaleur du lieu m’oppresse, je commence à ne pas me sentir trop bien. Alors que je suis presque au bord de l’évanouissement, je me penche un peu en avant. Bill Clinton a fait de même et nous échangeons de nouveau un sourire complice. Mais ce sourire me déstabilise et voilà que je me prends les pieds dans le tapis. J’évite la chute, grâce à Philippe qui me rattrape par le bras de justesse ! L’épisode semble amuser profondément Bill Clinton qui retient un éclat de rire. À le voir ainsi, j’ai beaucoup de mal à gardermoi-même mon sérieux. Et alors que l’ex-Président continue de me sourire, je me souviens de son fou rire homérique lors de sa rencontre avec Boris Eltsine en 1995, à Camp David, quand ce dernier avait traité les journalistes de « catastrophe » pendant une conférence de presse… Un moment d’anthologie qui avait fait le tour du monde des télévisions et qui reste à tout jamais inscrit dans la mémoire collective, ne serait-ce que pour démontrer que les plus grands dirigeants de ce monde peuvent être, eux aussi, des individus ordinaires, victimes de fous rires communicatifs.
    Pendant ce temps l’office des morts célébré par trois métropolites orthodoxes n’en finit pas de s’éterniser. Les obsèques de Boris Eltsine m’évoqueront toujours ce moment partagé avec Bill Clinton en présence de nombreuses personnalités et cette rencontre incroyable avec Vladimir Poutine dans une pièce à peine éclairée…
    Lorsque nous reprenons enfin le tapis rouge dans le sens de la sortie, Bill Clinton me demande : «  Do you feel better ?  » et il sourit… J’aimerai pour toujours les sourires et les rires de Bill Clinton qui donnent à la vie politique une humanité vraie, rare, qui ont fait de lui l’homme politique préféré de la planète.

27. Tout est silence
    Pendant ces années que j’ai vécues en tant que compagne du ministre des Affaires étrangères, je ne pouvais que me plier au protocole… Rien n’est laissé au hasard. Je me fais notamment un devoir de connaître les moindres goûts de nos illustres invités en matière de décoration, de gastronomie, de vins… Je demandais à ce que le ministère soit décoré de leurs fleurs préférées, et je choisissais chaque plat des déjeuners et dîners avec l’excellent cuisinier du Quai d’Orsay. Ce dernier n’est plus en poste aujourd’hui, mais certaines de ses créations culinaires ont fait le tour du monde, comme notre glace à la dragée, envoyée par la suite à tous les ambassadeurs et ministres des Affaires étrangères. Enfin bref, je respecte et je suis à la lettre les codes et les règles imposés par