Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

ultime.
    Impossible d’attendre qu’ils recouvrent leurs forces et leurs esprits. Une fois de plus, le temps manque. Cette fois c’est au tour d’Hillary et de Tenzing d’entrer en action. « Cela s’est passé presque sans un mot. Objectivement, à ce moment bien précis, nous étions les deux plus costauds du groupe. » Le déroulement des derniers événements relève de la légende : une ultime rasade d’eau citronnée, deux paires de chaussures passées au-dessus du réchaud, l’escalade de ce foutu ressaut de quinze mètres (plus tard baptisé ressaut Hillary), les bouteilles d’oxygène qui pèsent des tonnes et ces dernières longueurs aux allures de chemin de croix...
    Au sommet, Tenzing dépose quelques barres de chocolat en offrande, Hillary plante le petit crucifix que Hunt lui a confié et prend une seule photo de la référence, celle de son Sherpa emmitouflé de bleu, le visage camouflé par son appareil respiratoire. Même irréfléchi, ce beau symbole réjouit. Que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher d’autres clichés plus convenus de leaders (immanquablement) immortalisés par leurs accompagnateurs. Hillary se défend même d’être parvenu le premier à l’extrémité de la corniche. Un accord tacite, jamais rompu, l’invite à partager, pour toujours, cet avantage avec Tenzing.
    A peine redescendu des nuages, le Sherpa (mort en 1986) gagnera une reconnaissance immense et son compagnon le début d’un engagement sans faille. Confronté à l’ensemble des porteurs, Hillary s’inquiète : « Vous m’avez soutenu. Sans vous je ne serais jamais arrivé au sommet. Que puis-je vous offrir en échange ? – Une école », lui répond Urkein, leur chef. Mieux qu’une requête : le début d’un sacerdoce. Non content d’avoir atteint son objectif, Hillary trouve sa voie pour de bon. Au-delà de son exploit, par-delà son ascension, le héros ne cessera plus, désormais, de s’investir.
    Un exemple? Lorsque, tout au long de l’année 1962, Hillary donne cent six conférences dans quatre-vingts villes américaines différentes, c’est d’abord pour alimenter Khumjung en eau courante, tailler une piste d’atterrissage à Lukla ou restaurer le temple de Thyrangboche. Chaque été, le revoilà dans les vallées qui le préoccupent afin de discuter, envisager et bâtir. Avec quelques beaux résultats à la clef : vingt-sept écoles, douze centres de soins et deux hôpitaux selon son recensement le plus récent !
    Même la mort de sa femme Louise et de sa fille Belinda dans un accident d’avion, alors que outes les deux partaient le rejoindre sur un chantier, n’a pas eu raison de ses convictions. Pas plus que ses propres pépins de santé, ce tenace mal des montagnes qui l’a plus d’une fois couché sur le flanc. Qu’importe. D’autres missions se bousculaient déjà... Au Népal ou aux Indes. En tant qu’ambassadeur, haut-commissaire ou sous l’égide des Volunteers Service Abroad, sorte de Médecins sans frontières des antipodes dont il a lui-même lancé l’idée.
    « Je ne suis pas religieux, mais je suis foncièrement optimiste. J’agis, je trouve des solutions. Si je me sens si proche de ces gens et de leurs valeurs, c’est peut-être parce que je viens moi-même de la campagne, d’un tout petit village où les rapports étaient simples et les enjeux évidents. » Dans le train qui chaque jour faisait la navette pendant deux heures entre Tuakau et Auckland, le jeune Hillary trimbalait un certain mal de vivre. Mais il n’omettait jamais d’emporter aussi quelques livres qui, jure-t-il, lui offrirent « une ouverture d’esprit suffisante pour (se) persuader que l’action est une bénédiction et la solidarité une obligation ».

JACQUES PICCARD
    Un savoir abyssal
    Son père Auguste correspondait avec Albert Einstein et, accessoirement, à l’image que l’on se fait du savant bricoleur. C'est lui qui mit au jour l’actiuranium, futur uranium 235, et confirma la théorie de la relativité en accompagnant une capsule d’aluminium jusqu’aux limites de la stratosphère. Mais c’est lui aussi qui prenait un malin plaisir à percer les mystères de l’émulsion de la sauce vinaigrette et qui inventa un manomètre ultrasensible muni d’un fil d’araignée en guise de pivot et d’une aile de mouche pour aiguille ! Son fils Bertrand, psychiatre de formation, est pareillement familier des champs de la conscience et des courants ascensionnels. Il use de