Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
l’hypnose et de l’aile delta avec une commune facilité. Et sa dernière aventure l’a emmené dix-neuf jours durant autour du globe suspendu à une poche d’hélium de 18 000 m 3 .
Pris en tenaille entre ce père inventif et ce fils entreprenant, on pourrait ne reconnaître à Jacques Piccard qu’un rôle de trait d’union. Le terme de courroie de transmission lui convient davantage. Continuateur des œuvres paternelles, stimulateurs des appétences filiales, il n’en est pas moins entrepreneur de ses propres lubies, jusqu’à cette fameuse visite en bathyscaphe de l’improbable fosse des Mariannes, le point le plus abyssal de toutes nos contrées sous-marines, à moins 10 916 mètres sous la surface de l’océan!
Dans son bureau tapissé de bois blond, à la marge du village de Cully, face au lac Léman et aux Alpes si proches, l’arpenteur des grands fonds rechigne à parler de lui comme d’une exception. Et plus encore à considérer son expérience à l’égal d’autres expéditions extrêmes. Droit comme un i, sobre et réfléchi, habillé avec élégance, il se contente d’éclairer la minutieuse patience d’un jeu de construction dont la mise à exécution ne va pas sans rappeler les délicates maquettes des engins qui l’entourent. Son récit est dépourvu d’emphase, mais l’évidence de sa démonstration garantit à elle seule la preuve de son mérite. Cette fameuse journée du 23 janvier 1960, Jacques Piccard en a fouillé tous les recoins et analysé le moindre des instants.
Le remorquage depuis l’île de Guam en plein cœur du Pacifique s’est éternisé pendant quatre jours. La mer est capricieuse, excessive parfois. L'appareil chargé de mesurer la vitesse du bathyscaphe n’a pas résisté à une déferlante, ni le panneau de Plexiglas situé dans le tube de descente, qui se retrouve légèrement fissuré. Un moindre mal. Plutôt que de risquer une éventuelle et nocturne intervention de plongeurs extérieurs, Jacques Piccard et son coéquipier, Don Wash, décident de modifier leur planning. Le largage s’effectuera à 8 heures du matin pour un retour programmé vers 4 heures de l’après-midi. Une belle journée sous-marine avec un objectif limpide à la clef : atteindre, sept ans après Hillary et Tenzing, les vainqueurs de l’Everest, l’absolu contraire du faîte de la terre, l’abysse le plus prononcé dont les mystères étaient, à l’époque, tout aussi épais que les plus hautes neiges himalayennes.
Le confort à l’intérieur de l’habitacle est précaire et le lieu fort exigu. Et si l’air respiré est agréable grâce au gel de silice placé à bord, le niveau sonore de l’ensemble – système d’aération, déformation des tôles, etc. – est insupportable. L'ordre de plongée est donné à 8 h 23. Une immersion tout en douceur. Cinq heures de descente à brasses comptées. Et des vérifications incessantes : vitesse, quantité de ballast, température. A – 8 000 m la carcasse du bathyscaphe mugit de plus belle, mais le téléphone du bord fonctionne toujours. Il est grand temps d’allumer le phare placé sous le ventre de l’engin.
« Le problème qui se posait, explique Jacques Piccard, n’était pas tant la descente ni la remontée – après tout, notre bathyscaphe était capable de supporter deux fois la plus forte pression que nous devions rencontrer (1 tonne au cm 2 ) et le système de lest (de la grenaille de fer retenue par un champ magnétique) était au point – mais plutôt la réception proprement dite. Où allions-nous poser notre engin? Quelle serait la nature du plancher rencontré ? » Les supputations les plus farfelues avaient cours à l’époque. Certains chercheurs soviétiques affirmaient même que le fond de cette fosse n’était pas véritablement aggloméré, mais plutôt composé de couches de sédiments en suspension où le bathyscaphe avait toutes les chances de s’enliser!
Le résultat était d’autant plus incertain que le sondeur embarqué ne portait qu’à deux cents mètres. Pendant un peu plus de dix kilomètres, les deux plongeurs restèrent donc dans l’ignorance et la nuit la plus totales. Seules les premières oscillations de la ligne du capteur permirent de les rassurer. Et plus encore le spectacle proposé. « Lorsque nous sommes arrivés à proximité du fond, le projecteur faisait un très beau cône qui allait en diminuant. Si la température dans la cabine ne cessait de chuter, l’eau
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