Azincourt
cette armée avait disparu, mais il ne vit rien. Les traces
tournaient vers le nord au bout de la vallée.
— Par le Christ !
s’exclama Scarlet. Ils doivent être des milliers.
— Retourne auprès de sir John
et dis-lui que l’ennemi est passé ici hier, ordonna Hook à Peter Scoyle.
Va !
Il se retourna vers les traces.
Elles étaient des milliers et des milliers, si nombreuses qu’elles avaient
transformé la vallée en un champ de boue. Enfant, il s’émerveillait de voir les
routes après le passage d’immenses troupeaux que l’on menait aux abattoirs de
Londres… Ce n’était rien à côté de ces traces innombrables. Tous les hommes de
France et peut-être de Bourgogne étaient passés par là. Et quelque part au nord
ou à l’ouest, entre ici et Calais, cette immense armée les attendait.
— Ils doivent nous espionner,
dit-il.
— Mon Dieu, répéta Scarlet en
se signant.
Ils observèrent les bois voisins,
mais ne virent rien. Pourtant, Hook était certain que l’ennemi devait avoir
envoyé des éclaireurs épier l’armée harassée.
Sir John arriva avec une douzaine
d’hommes d’armes. Il fixa les traces sans mot dire puis, comme Hook, l’horizon
de part et d’autre.
— Ils sont donc passés ici,
dit-il avec résignation.
— Ce n’est pas la petite armée
qui nous suivait le long de la Somme, dit Hook.
— Bien sûr que non, rétorqua
sir John. C’est toute la puissance de la France, ironisa-t-il.
— Ils doivent nous épier, sir
John.
— Tu devrais te raser, Hook,
répondit sir John. Tu as l’air d’un vagabond.
— Oui, sir John.
— Et bien sûr que ces mangeurs
de choux nous épient. Qu’on hisse les bannières ! Maudits
soient-ils ! Maudits, maudits ! Nous devons continuer.
Car ils n’avaient pas le choix. Et
le lendemain, bien qu’il n’y eût aucun signe de l’ennemi, ils eurent la preuve
que les Français savaient précisément où ils étaient, car trois hérauts les
attendaient sur la route. Ils portaient leurs livrées éclatantes et les baguettes
blanches de leur fonction, et Hook les salua courtoisement avant d’envoyer
chercher de nouveau sir John, qui amena les trois hommes devant le roi.
— Que voulaient ces
drôles ? demanda Will du Dale.
— Nous inviter à déjeuner, dit
Hook. Du lard, du pain, du foie d’oie frit, de la purée de pois et de la bonne
ale.
— Je tuerais ma propre mère
pour un bol de pois, sourit Will.
— Et du pain et du lard,
renchérit Hook.
— Du bœuf rôti, ruisselant de
jus.
— Un peu de pain suffirait, dit
Hook.
Il savait que les trois Français en
apprendraient beaucoup de leur visite. Les hérauts étaient censés être
au-dessus des partis, de simples messagers et observateurs ; mais ceux-là
conteraient sûrement aux officiers français que les soldats anglais vidaient
leurs entrailles dans les fossés, que les chevaux étaient maigres, et l’allure
lente et silencieuse.
— Ils nous ont défiés à la
bataille, expliqua après leur départ le père Christopher qui, en tant que
chapelain, savait ce qui s’était passé durant l’entrevue. Tout fut extrêmement
courtois. Chacun s’inclina fort joliment, échangea de charmants compliments et
convint que le temps était fort inclément, puis ils nous ont fait part de leur
défi.
— C’est bien aimable de leur
part, ironisa Hook.
— Les amabilités sont importantes,
le gronda le prêtre. Tout comme tu ne danses pas avec une dame sans lui
demander sa permission, le connétable de France, le duc de Bourbon et le duc
d’Orléans nous invitent à danser.
— Qui sont-ils ? demanda
Tom Scarlet.
— Le connétable est Charles d’Albret,
et prie qu’il ne danse pas avec toi, Tom, et les ducs sont de grands hommes. Le
duc de Bourbon est un vieil ami à toi, Hook.
— Pourquoi ?
— Il menait l’armée qui
anéantit Soissons.
— Mon Dieu, dit Hook en
songeant de nouveau aux archers aveuglés agonisant sur les pavés.
— Et chacun des ducs, continua
le père Christopher, mène probablement un contingent plus grand que toute notre
armée.
— Et le roi a accepté leur
invitation ? demanda Hook.
— Oh, mais volontiers ! Il
adore danser, bien qu’il n’ait pas daigné désigner de lieu pour le bal. Il a
dit que les Français n’auraient sans aucun doute nulle peine à nous trouver.
Et à présent, comme il savait que
les Français n’auraient donc pas cette peine et que son armée pourrait
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