Azincourt
le
père Christopher.
— Et c’est là sa folie ?
— Redoute la certitude. Il y a
des hommes dans l’armée française, Hook, qui sont convaincus comme Henry que
Dieu est à leurs côtés. Eux aussi sont hommes de bien. Ils prient, donnent
l’aumône, confessent leurs péchés et jurent de n’en plus commettre. Peuvent-ils
se tromper dans leurs convictions ?
— Dites-le-moi, mon père.
— Si je comprenais Dieu,
soupira le prêtre, je comprendrais tout, parce que Dieu est tout. Il est les
étoiles et le sable, le vent et le calme, l’hirondelle comme l’épervier. Il
sait tout ; mon destin comme le tien, et si je comprenais tout cela, que
serais-je ?
— Vous seriez Dieu, répondit
Mélisande.
— Et cela, je ne le puis, car
nous ne pouvons comprendre tout. Seul Dieu le peut, et c’est pourquoi il faut
redouter l’homme qui prétend connaître la volonté de Dieu. Il est comme le
cheval qui croit diriger son cavalier.
— Et notre
roi le croit ?
— Il croit être le favori de
Dieu, et il l’est peut-être. Après tout, il est roi, oint et béni.
— Dieu l’a fait roi, dit
Mélisande.
— L’épée de son père l’a fait
roi, ironisa le père Christopher, mais c’est bien sûr Dieu qui a guidé cette
épée. (Il se signa.) Pourtant, il y en a, ajouta-t-il en baissant la voix, qui
prétendent que son père n’avait nul droit au trône. Et que les péchés des pères
rejaillissent sur leurs fils.
— Vous nous dites… commença
Hook, qui se ravisa, car la conversation tendait périlleusement vers la
trahison.
— Je dis, poursuivit le père Christopher,
que je prie pour que nous rentrions en Angleterre avant que les Français ne
nous retrouvent.
— Ils nous ont perdus, dit
Hook, plein d’espoir.
— Ils ne savent peut-être pas
où nous sommes, Hook, sourit le prêtre, mais ils savent où nous allons. Ils
n’ont donc point besoin de nous chercher, mais seulement de nous devancer et
nous laisser les retrouver.
— Et nous qui nous reposons
toute une journée, se rembrunit Hook.
— En effet, et c’est pourquoi
nous devons prier pour que notre ennemi soit au moins à deux jours de marche
derrière nous.
Le lendemain, ils reprirent leur
route. Hook partit en éclaireur à une lieue en reconnaissance. Cela lui
plaisait. Il pouvait laisser son épieu dans une charrette et galoper librement
devant l’armée. Les nuages se rassemblaient de nouveau et le vent était froid.
À l’aube, ils avaient trouvé de la gelée sur l’herbe, mais elle s’était vite
évaporée. Les feuilles des hêtres prenaient une couleur d’or terne et
rougeâtre, et les chênes de bronze, et certains arbres avaient déjà perdu leurs
feuilles. Les pâturages les plus encaissés étaient à demi inondés par les
dernières pluies et les champs labourés pour le blé d’hiver laissaient couler
de longues traînées d’eau argentée entre leurs sillons. Les hommes de Hook
suivaient un chemin qui croisait des villages, mais granges et greniers étaient
vides. Il n’y avait ni bétail ni grain. Quelqu’un savait, se dit-il, que les
Anglais prenaient cette route et avait dépouillé la campagne avant de
disparaître, car l’ennemi n’était nulle part en vue.
La pluie reprit à la mi-journée. Une
simple bruine, mais qui s’infiltrait partout. Raker allait au pas. Toute
l’armée était au pas, incapable de faire davantage. Ils passèrent auprès d’une
ville dont Hook, dans sa lassitude, regarda à peine les murailles et les fières
bannières. Il continua son chemin quand soudain il comprit qu’ils étaient
condamnés.
Ses hommes et lui avaient atteint
une petite éminence, et devant eux s’étendait une large vallée. L’autre côté
s’élevait doucement jusqu’à l’horizon, où se dressaient un clocher et un bois.
C’était une terre de pâturages, déserts en cette saison, mais il vit,
éparpillées dans la vallée, les preuves d’un péril imminent.
Il arrêta son cheval et regarda
devant lui.
D’est en ouest, ce n’était qu’une longue
traînée de boue d’où toute l’herbe avait été arrachée. De l’eau scintillait
dans les milliers de trous laissés par les sabots de chevaux. Le sol était
labouré et creusé, car une armée avait traversé cette vallée. Ce devait être
une grande armée, pensa-t-il. Il descendit jusqu’à cette traînée et vit les
traces encore fraîches laissées par des milliers de chevaux. Il se tourna vers
l’ouest, où
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