Azincourt
grand gaillard maigre au menton en galoche qui brandissait une
vouge ensanglantée.) Tu le connais ? (Lanferelle recula.) Je t’ai posé une
question, continua l’homme avec un sourire narquois en se lançant à sa suite,
enchanté de le voir terrifié. Tu es riche, hein ? Car si tu l’es,
peut-être que nous te laisserons la vie. Mais il faudra que tu le sois
beaucoup.
Il balança sa vouge en espérant lui
couper un jarret, mais Lanferelle parvint à reculer sans trébucher et à éviter
le coup.
— Je suis riche, dit-il,
désespéré. Fort riche.
— Il parle l’anglais, dit
l’archer à ses compagnons. Il est riche et parle l’anglais. Alors, pourquoi
appelles-tu ainsi Hook ? demanda-t-il en levant de nouveau sa vouge.
— Je suis son prisonnier, tenta
de l’apaiser Lanferelle.
— Notre Nick ? Il aurait
un riche prisonnier, alors ? Cela ne se peut. (Il le frappa au plastron de
la pointe de sa vouge, et Lanferelle tituba en cherchant du regard quelque arme
oubliée. L’archer portait un haubergeon par-dessus sa cotte de mailles, et le
vêtement entaillé laissait échapper des touffes de bourre de laine. La croix
écarlate de saint George avait déteint sous la pluie et le vêtement, orné d’une
lune et d’étoiles, était rouge sang.) Nous ne voulons point que Hook soit
riche, dit l’homme en levant son arme, prêt à l’abattre sur le crâne de
Lanferelle.
À cet instant, le Français aperçut
l’épée qui tournoyait dans l’air. Elle était courte et de piètre façon. Il crut
qu’on la lui avait lancée pour le tuer, mais c’était en réalité pour l’aider.
Il la saisit alors qu’elle passait par-dessus l’épaule de l’archer, dont la
hache s’abattait déjà. Lanferelle n’eut pas le temps de parer et dut se lancer
en avant pour culbuter son adversaire. Le manche de la hache le toucha au bras
et Lanferelle porta un coup de son épée, mais il ne parvint qu’à déchirer le
carquois de l’homme. Un autre archer se jeta sur lui, mais Lanferelle, toujours
aussi extraordinairement vif, lui taillada le visage.
Sur les trois archers qui restaient,
deux n’avaient pas le cœur à combattre et Lanferelle se retrouva face au grand
maigre, qui se retourna en voyant Hook arriver.
— Maudit, lui cracha-t-il. Tu
lui as donné une épée !
— C’est mon prisonnier, dit
Hook.
— Et le roi a ordonné de tous
les occire !
— Alors, tue-le, Tom, s’amusa
Hook. Vas-y !
Tom Perrill se retourna vers le
Français. Il vit son regard féroce et, se rappelant la vivacité avec laquelle
il avait esquivé et paré, baissa son arme.
— Tue-le, toi, Hook,
ricana-t-il.
— Mon seigneur, dit Hook à
Lanferelle. Il fut promis à cet homme de l’argent pour violer votre fille. Il
n’y parvint point, mais aussi longtemps qu’il vivra Mélisande sera en péril.
— Alors tue-le, dit Lanferelle.
— J’ai promis à Dieu de ne
point le faire.
— Mais moi, je ne Lui ai rien
promis, déclara Lanferelle en pointant son épée sous le nez de Perrill, qui
recula.
Perrill jeta un regard effrayé et
étonné vers Hook, puis il se retourna vers Lanferelle, qui souriait. L’arme du
Français, médiocre, n’était pas de taille devant une vouge, mais Lanferelle
s’avança avec une assurance inébranlable.
— Tuez-le ! cria Perrill à
ses compagnons, qui ne bronchèrent pas.
Il tenta de porter un coup désespéré
au ventre de son adversaire, mais le Français esquiva avec une aisance
déconcertante et porta son coup.
La lame trancha la gorge de Perrill.
L’archer le regarda, tandis que le sang qui jaillissait s’écoulait lentement le
long de la lame jusque sur la main dégantée de Lanferelle. Un bref instant, les
deux hommes furent immobiles, puis Perrill s’écroula et Lanferelle rendit
l’épée à Hook.
— Assez ! Assez !
cria un homme d’armes à cheval en s’approchant. Cessez le massacre !
Hook retourna vers les lignes
anglaises. Il vit des nuages gris qui couvraient la plaine d’Azincourt. Et,
devant l’armée anglaise, un champ rempli de morts et d’agonisants. Plus de
morts que le roi n’avait amené d’hommes ici. Innombrables, enchevêtrés,
ensanglantés, hommes et chevaux mêlés avec les armes et les bannières tombées
et les espoirs étouffés. Un champ semé de blé d’hiver avait donné une récolte
de sang.
Et au bout de ce champ, au-delà des
morts, de ceux qui agonisaient et de ceux qui pleuraient, le troisième
bataillon
Weitere Kostenlose Bücher