Azincourt
les Français
appelèrent le 25 octobre 1415 la journée malheureuse*. Même après
avoir chassé les Anglais de France, cela resta un triste souvenir. Ce jour
avait été un désastre.
Pourtant, il faillit en être de même
pour Henry V et sa petite armée pourtant bien équipée. Cette armée qui
avait quitté Southampton avec de grands espoirs, principalement la capture
rapide d’Harfleur. Une victoire aurait démontré, du moins dans l’esprit pieux
d’Henry V, que Dieu soutenait ses prétentions au trône français. Mais le
siège d’Harfleur dura plus longtemps que prévu et l’armée anglaise fut presque
décimée par la dysenterie.
Le récit de ce siège est juste dans
ses grandes lignes, bien que j’aie pris une grande liberté en racontant le
percement d’une galerie devant la porte de Leure. Il n’y en eut aucune, le sol
ne le permettait pas ; mais je voulais donner une idée, si inexact que
soit cet épisode, des horreurs qu’affrontaient les hommes dans les combats
souterrains. La défense d’Harfleur fut remarquable, et l’honneur en revient à
Raoul de Gaucourt, l’un des chefs de la garnison.
Harfleur se rendit finalement, et il
lui fut épargné le sac et les horreurs de la chute de Soissons en 1414. On
raconte que des mercenaires anglais furent payés pour trahir la ville, ce qui
explique les agissements du personnage fictif de sir Roger Pallaire ; mais
dans le contexte de la campagne d’Azincourt, Soissons tient une place
significative en raison de ses saints patrons, saint Crépin et saint Crépinien,
dont la fête tombe réellement le 25 octobre. Pour beaucoup en Europe, les
événements de la Saint-Crépin de 1415 furent une sorte de vengeance céleste
pour les atrocités commises à Soissons l’année précédente.
Henry aurait dû renoncer à toute
idée de campagne après la reddition d’Harfleur. Mais dépenser autant d’argent
pour ne gagner rien de plus qu’un port normand serait passé pour un piètre exploit.
Certes, la ville était désormais anglaise (et le resterait pendant vingt ans),
mais sa prise avait fait perdre un temps précieux. Cependant, Henry préféra
entraîner sa petite armée éprouvée dans une marche d’Harfleur à Calais.
Ce n’était pas un défi
insurmontable. Il s’agit d’une distance d’environ cent quatre-vingt-dix
kilomètres, et l’armée, entièrement montée, pouvait la parcourir en huit jours.
La marche n’était pas destinée à accomplir des pillages : Henry souhaitait
tout au plus humilier les Français en démontrant qu’il pouvait traverser leur
territoire en toute impunité.
Cette démonstration aurait bien
fonctionné si les gués de la Somme n’avaient pas été gardés. Henry fut forcé de
pousser dans les terres pour trouver un autre passage, et les huit jours en
devinrent dix-huit – ou seize, les chroniqueurs étant d’une imprécision
horripilante sur ce point –, les vivres manquèrent et les Français
finirent par concentrer leur armée.
C’est ainsi que la ridiculement
petite armée d’Henry rencontra son ennemi sur le plateau d’Azincourt à la
Saint-Crépin en 1415. Sans le savoir, l’armée venait d’entrer dans la légende.
On s’accorde généralement à estimer
à six mille les Anglais et à trente mille les Français. Shakespeare a donc pu
écrire dans Henry V « notre petite bande, notre heureuse
petite bande de frères ».
Nous avons la chance que plusieurs
témoins oculaires aient consigné la bataille et nous possédons d’autres sources
par les écrivains qui en laissèrent des récits peu après, mais leurs
estimations des effectifs varient considérablement. Les chroniqueurs anglais
estiment les forces françaises à soixante mille et jusqu’à cent cinquante
mille, alors que les sources françaises et bourguignonnes offrent une
fourchette de huit mille à cinquante mille. J’ai finalement décidé que le
chiffre généralement accepté était le bon et qu’environ six mille Anglais
affrontèrent trente mille Français. Il ne s’agit pas, je le souligne, du
résultat d’une étude universitaire minutieuse de ma part, mais plutôt d’un
instinct : la réaction suscitée à l’époque par cette bataille indique que
quelque chose d’étonnant était survenu, et le plus étonnant dans les divers
récits d’Azincourt est la disparité des chiffres.
Un fait demeure incontestable :
la disparité qui régnait dans l’armée anglaise. C’était au départ une
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