Azincourt
désordre. Il faisait nuit, il dormait sur la paille au fond de
l’atelier de John Wilkinson ; il ouvrit les yeux, désorienté, tandis que
le vieil homme jetait du bois dans son feu pour apporter un peu de lumière.
— Ne reste pas là comme une
truie qui allaite, mon garçon. Ils sont là.
— Marie Mère de Dieu, dit Hook,
glacé par la panique.
— M’est avis qu’elle ne se
soucie de personne, dit Wilkinson en enfilant sa cotte de mailles. J’ai laissé
pour toi près de la porte un carquois rempli de bonnes flèches. Va, mon garçon,
tues-en quelques-uns.
— Et vous ? demanda Hook
en chaussant les nouvelles bottes que lui avait confectionnées un habile
cordonnier de Soissons.
— Je te rattraperai !
Prépare ton arc et va !
Hook boucla sa ceinture, corda son
arc, prit son carquois et celui qui l’attendait près de la porte, et se
précipita dans la cour de la taverne. Il entendait des cris et des hurlements,
mais sans savoir d’où ils provenaient. Il suivit instinctivement des archers
qui couraient vers les nouvelles défenses édifiées derrière la brèche. Les
cloches résonnaient lugubrement dans la nuit, et des chiens aboyaient et
grondaient.
Hook n’avait pas d’armure, seulement
un vieux casque que Wilkinson lui avait donné et un peu trop grand pour lui. Sa
veste rembourrée pouvait arrêter un faible coup d’épée, mais il n’avait rien
d’autre. Les autres archers portaient des cottes courtes et des casques bien
ajustés, mais ils avaient tous le sautoir bourguignon orné de la croix crénelée
et se postaient sur la muraille constituée de paniers d’osier remplis de terre.
Aucun n’avait encore tiré : ils se contenaient de regarder vers la brèche,
où flamboyaient des torches enduites de poix que les hommes d’armes de
Bourgogne y jetaient.
Ils étaient une cinquantaine, mais
aucun ennemi ne paraissait à la brèche. Pourtant, les cloches continuaient de
sonner une attaque des Français. Hook se retourna et vit vers le sud une lueur
dans le ciel qui teintait de rouge la tour de la cathédrale. Quelque chose
brûlait vers la porte de Paris. Etait-ce là qu’avaient attaqué les Français ?
Cette porte était commandée par sir Roger Pallaire et défendue par les hommes
d’armes anglais ; Hook se demanda une fois de plus pourquoi sir Roger
n’avait pas ordonné aux archers anglais de rejoindre la garnison de cette
porte.
Au lieu de quoi, les archers
attendaient à la brèche ouest où aucun ennemi ne survenait. Inquiet, Smithson,
le centenier, tripotait la chaîne d’argent, insigne de son rang, et jetait des
coups d’œil vers le sud.
— Par le Diable… marmonna-t-il.
— Que se passe-t-il ?
demanda un archer.
— Au nom du Ciel, comment le
saurais-je ? gronda Smithson.
— Je crois qu’ils sont déjà
dans la cité, dit timidement Wilkinson.
Il avait apporté une douzaine de
gerbes de flèches qu’il déposait devant les archers. Des cris s’élevèrent dans
la ville et une troupe d’arbalétriers bourguignons passa en courant, délaissant
la brèche pour gagner la porte de Paris. Quelques hommes d’armes les suivirent.
— S’ils sont dans la cité,
hésita Smithson, nous devrions aller à l’église.
— Pas au château ? demanda
un homme.
— À l’église, je crois, comme
l’a dit sir Roger. C’est un seigneur, n’est-ce pas ? Il doit savoir ce
qu’il fait.
— Si fait, et le pape pond des
œufs, répondit Wilkinson.
— Devons-nous y aller
maintenant ? demanda un homme.
Sans répondre, Smithson continua de
jeter des regards de tous côtés en tripotant sa chaîne.
Hook fixait la brèche, le cœur
battant et le souffle court. Il pria Dieu et Jésus de le protéger, sans que
cela le réconforte. Une seule pensée l’occupait : l’ennemi était dans
Soissons ou en train d’attaquer, il ne savait pas ce qui se passait et se
sentait impuissant. Le vacarme des cloches achevait de le décontenancer. Dans
l’obscurité de la brèche brillaient faiblement les dernières lueurs des
torches, mais Hook aperçut des reflets argentés qui bougeaient lentement comme
la fumée dans le clair de lune ou ces spectres vaporeux qui hantent la terre au
soir de la Fête des Morts. C’était beau. Il les contempla longuement, quand
soudain les formes argentées prirent une teinte rougeâtre et il se rendit
compte avec stupeur que c’étaient les plates d’armures où se reflétaient des
torches.
— Sergent !
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