Azincourt
s’écria-t-il.
— Quoi ? aboya Smithson.
— Ces gueux sont là ! cria
Hook.
Et en effet, des armures polies
déferlaient par la brèche sous une bannière bleue semée de lys d’or. Leurs
visières étaient baissées et leurs longues épées luisaient dans les flammes. Ce
n’étaient plus des vapeurs, maintenant, mais des hommes de métal brûlant, des
fantômes surgis des rêves de l’enfer, la mort jaillissant des ténèbres pour
s’abattre sur Soissons. Ils étaient si nombreux que Hook ne put les compter.
— Oh, mon Dieu, s’affola
Smithson. Arrêtez-les !
Hook obéit. Il recula vers la
barricade, prit une flèche et la posa sur son arc. La peur l’avait soudain
quitté, balayée par la certitude qu’il devait agir. Tendre sa corde.
La plupart des hommes au faîte de
leur puissance n’étaient pas capables de tirer la corde d’un arc de guerre
jusqu’à l’oreille. La plupart des hommes d’armes, bien qu’endurcis par les
combats et l’entraînement à l’épée, ne l’auraient tendue qu’à moitié ;
mais à le voir, Hook n’avait aucune peine à le faire. Son bras recula
souplement, il chercha de l’œil sa cible à la pointe brillante de sa flèche et
ne réfléchit pas un instant en la laissant voler. Il tendait la main vers une
deuxième flèche quand la première se ficha dans une poitrine garnie d’acier et
renversa le soldat sur le porte-étendard des Français.
Et Hook tira de nouveau, sans
réfléchir, songeant seulement qu’on lui avait donné ordre d’arrêter les
assaillants. Il décocha flèche sur flèche. Sans penser au léger mouvement de sa
main gauche pour ajuster le tir, ni à la mort et aux blessures qu’infligeaient
ses traits en un éclair, ni aux flèches qui glissaient parfois sur les armures.
Elles étaient rares. Les longues pointes perçaient facilement l’acier à cette
distance et Hook était plus fort que la plupart des archers, pourtant non des
moindres, et son arc était lourd. Quand il avait fait sa connaissance, John
Wilkinson avait bandé l’arc du jeune homme et, peinant à amener la corde à son
menton, lui avait jeté un regard plein de respect. À présent, le long et massif
arc taillé dans le tronc d’un if dans la lointaine Savoie envoyait la mort dans
la nuit et le fracas des cloches. Et Hook, qui voyait seulement arriver les
ennemis sur la brèche où brillaient les torches, ne remarqua pas le flot sombre
d’hommes qui déferlaient de part et d’autre et arrachaient déjà les paniers
remplis de terre. Soudain, une partie de la barricade s’effondra, et dans le bruit
Hook vit qu’il était le seul archer resté sur les défenses. La brèche, jonchée
de morts et de blessés, était envahie d’une meute hurlante. La nuit était rouge
de flammes, emplie de fumée et de cris de guerre. Hook se rendit alors compte
que Wilkinson lui avait crié de fuir, mais dans le feu de l’action il n’avait
pas réagi.
Il reprit ses sens, s’empara de son
carquois et prit ses jambes à son cou.
La barricade s’écroula derrière lui
et les Français en franchirent les débris en hurlant.
Hook comprit alors ce qu’éprouvait
le cerf quand les chiens envahissaient les taillis, que les hommes battaient la
forêt et que les flèches sifflaient entre les feuilles. Il s’était souvent
demandé si un animal savait ce qu’était la mort. Les bêtes connaissaient la
peur et la méfiance, mais au-delà vient la panique qui vide les tripes, les
derniers instants de la vie, quand les chasseurs se rapprochent et que le cœur
et l’esprit s’emballent. Hook se sentit gagné par cette panique et courut.
D’abord au hasard, dans le vacarme des cloches et des cornes, les hurlements
des chiens et les cris de guerre. Il parvint sur une petite place étrangement
vide, où habituellement les marchands de cuir exposaient leurs peaux, puis il
entendit des verrous se tirer et comprit que les gens se terraient dans leurs
maisons.
Un vacarme lui fit comprendre que
des soldats défonçaient des portes. Va au château, se dit-il. Il
s’élança, mais au détour d’une rue, voyant la grand-place devant la cathédrale
envahie d’hommes en livrées inconnues et brandissant des torches, il rebroussa
chemin comme le cerf qui évite la meute. Il décida d’aller à
Saint-Antoine-le-Petit et prit une ruelle, traversa la place devant le couvent,
puis la rue de la Taverne à l’Oie, et vit que d’autres hommes dans ces mêmes
livrées barraient le
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