Azincourt
les autres Français furent
affublés de la même manière, sir John remonta en selle. Il fit un signe à
Gaucourt puis, d’un coup d’éperon, lança son cheval sur le chemin entre les
haies de soldats anglais.
Les Français le suivirent en
silence. Certains, les marchands, étaient des vieillards, tandis que d’autres,
pour la plupart soldats, étaient jeunes et robustes. C’étaient les chevaliers
et les bourgeois, ceux qui avaient défié le roi d’Angleterre, et la corde à
leur cou indiquait que leur vie était désormais entre les mains d’Henry.
Arrivés en haut de la colline, ils s’agenouillèrent humblement devant le trône
sous le dais de brocart. Henry les contempla longuement. Le vent soulevait les
bannières de soie et balayait la fumée des ruines. Les nobles anglais
attendaient, pensant que le roi allait annoncer la peine capitale à ces hommes
à genoux.
— Je suis le souverain légitime
de ce royaume, dit Henry. Et votre résistance fut trahison.
Une ombre passa sur le visage de Raoul
de Gaucourt. Il ne releva pas l’accusation et tendit un lourd trousseau de
clés.
— Les clés de la cité
d’Harfleur, Sire, sont désormais vôtres.
— Votre défi, répondit
sèchement le roi sans les prendre, fut contraire à la loi des hommes et à celle
de Dieu. (Les vieillards tremblaient de terreur et l’un d’eux avait le visage
ruisselant de larmes.) Mais Dieu, continua Henry, magnanime, en prenant enfin
les clés, est miséricordieux. Et nous le serons nous aussi. Vos vies seront
sauves.
Des vivats s’élevèrent de l’armée
anglaise quand la croix de saint George fut hissée sur la ville. Le lendemain,
Henry d’Angleterre se rendit pieds nus à l’église Saint-Martin pour remercier
Dieu de sa victoire, mais nombre de ceux qui assistèrent à cet humble
pèlerinage jugèrent que son triomphe avait le parfum de la défaite. Il avait
perdu tant de temps devant les murailles d’Harfleur et la maladie avait tant
décimé son armée, alors que la saison des campagnes était presque terminée.
L’armée anglaise s’installa dans la
ville avec engins et bagages après avoir brûlé son camp. Les hommes de sir John
établirent leurs quartiers dans une rangée de maisons, tavernes et greniers
auprès du port, et Hook eut droit à la mansarde d’une taverne à l’enseigne du
Paon*.
— Le paon* est un gros oiseau avec une grande queue, expliqua Mélisande avec un
geste éloquent.
— Il n’existe pas de tel
oiseau, répondit Hook.
— Si, le paon.
— Ce doit être un oiseau
français, alors, car aucun oiseau anglais n’a de telle queue.
Harfleur était désormais anglaise.
La croix de saint George flottait sur les ruines du clocher de l’église
Saint-Martin et le peuple de la cité, qui avait été fort éprouvé, dut encore
souffrir. Les habitants furent expulsés. La cité, déclara le roi, serait
repeuplée par des Anglais, tout comme l’avait été Calais, et pour leur faire de
la place, deux mille hommes, femmes et enfants furent chassés de la ville. Les
malades furent emportés dans des chariots, les autres partirent à pied, et deux
cents archers et hommes d’armes anglais à cheval encadrèrent cette triste
cohorte le long de la rive nord de la Seine. Ils étaient là pour protéger les
réfugiés des voleurs et brigands.
Hook était de cette troupe. Il avait
retrouvé son hongre noir, Raker, qui était ombrageux et rétif. Son surcot avait
été lavé, mais la croix écarlate avait viré au rose terne. Il portait dessous
un haubert pris à un cadavre français et un camail que lui avait offert sir
John, et était coiffé d’un bacinet, autre dépouille de guerre. C’était un
casque à large revers, afin de dévier les coups d’épée ; mais comme bien
des archers, Hook avait taillé ce revers afin de laisser la place à la corde
quand il bandait son arc. Il portait son épée à la ceinture, son arc à l’épaule
et son carquois à sa selle. À main droite, au-delà des réfugiés, la rivière
scintillait au soleil, tandis qu’à main gauche s’étendaient les prairies dont
les Anglais avaient pillé le bétail et, plus loin encore, des collines boisées
encore feuillues. Mélisande était restée à Harfleur, mais le père Christopher avait
tenu à accompagner les réfugiés et montait le destrier de sir John, auquel
celui-ci voulait donner de l’exercice.
— Vous n’auriez pas dû venir,
mon père, lui dit Hook.
— Serais-tu médecin, à
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