Azteca
sécurité et de celle de ses compagnons, il
semblait au contraire se faire beaucoup de souci pour mettre son butin hors de
portée de ses légitimes propriétaires, ou alors, il avait pensé que la pluie
aiderait les traîneaux à mieux glisser sur les rues mouillées. Quoi qu’il en
soit, bien qu’ils aient dû travailler sous des trombes d’eau, les charpentiers
terminèrent leur travail avant la nuit. Ensuite, des soldats aidés par certains
des nôtres qui cherchaient à se rendre utiles, sortirent les trésors du palais
et les répartirent sur les deux traîneaux. Pendant ce temps, d’autres Espagnols
attelaient quatre chevaux à chaque charge avec un système de lanières
compliqué. Peu avant minuit, Cortés donna l’ordre du départ, les chevaux inclinèrent
le cou comme des porteurs sous la sangle frontale et les traîneaux se mirent à
glisser doucement sur le marbre mouillé du Cœur du Monde Unique.
Le gros de l’armée demeura sur la place, mais une escorte considérable
de soldats en armes partit accompagner le convoi avec à sa tête Cortés, Narvaez
et Alvarado. Déplacer cet énorme trésor était une tâche difficile, je vous
l’accorde, mais elle ne nécessitait pas la présence des trois chefs. A mon
avis, ils y étaient allés tous les trois parce qu’aucun d’eux ne faisait
confiance aux autres. Malintzin les accompagna également, pour profiter, sans
doute, d’une promenade après avoir été si longtemps confinée dans le palais.
Les traîneaux traversèrent la plaza et prirent l’avenue de Tlacopan. Aucun des
Espagnols ne s’étonna de trouver la ville déserte, car on entendait l’écho des
tambours et de la musique monter du nord de l’île et on voyait des nuages de
fumée rougis par l’éclat des torches.
Ce déménagement soudain fut une circonstance inattendue qui obligea Cuitlahuac
à attaquer plus tôt que prévu. Comme la disparition de Motecuzoma, le départ
précipité de Cortés joua en faveur de Cuitlahuac. Puisque les traîneaux avaient
emprunté l’avenue de Tlacopan, il était évident qu’ils passeraient par la plus
courte des trois digues aussi le nouvel Orateur Vénéré put rappeler les
combattants qu’il avait postés sur les deux autres chaussées pour les joindre à
ses attaquants. Ensuite, il fit passer cette consigne à ses troupes :
N’attendez pas les trompettes de minuit, attaquez tout de suite.
Il faut que je vous dise que j’étais chez moi avec Béu pendant que se
déroulaient ces événements, car je faisais partie de ceux que Cuitlahuac avait
charitablement qualifiés de « dispensés de se battre ». Je n’ai donc
pas été personnellement témoin de ce qui s’est passé sur l’île et sur la terre
ferme, par contre, j’étais présent au rapport des différents commandants, aussi
je peux vous relater avec plus ou moins d’exactitude ce que Cortés devait
appeler par la suite la Triste Nuit.
La première action fut lancée par ceux qui étaient restés dans le Cœur
du Monde Unique depuis le moment où Motecuzoma avait été frappé au front. Ils
étaient chargés de lâcher les chevaux. Il en restait environ quatre-vingts
parqués dans un coin. Nos hommes détachèrent les animaux, puis ils s’élancèrent
au milieu d’eux avec des brandons enflammés. Les chevaux, pris de panique,
partirent au galop dans toutes les directions, renversant les arquebuses,
piétinant des soldats et semant la plus grande confusion parmi les Blancs.
Alors, une foule de guerriers se déversa sur la place, armé chacun de
deux épées pour en donner une à ceux qui s’y trouvaient déjà. Ils n’avaient que
leur pagne car les armures matelassées ne leur auraient servi à rien dans un
corps à corps et de plus, elles auraient été imbibées par la pluie ; la
place était très peu éclairée car les soldats avaient dû protéger leurs feux de
camp de la pluie avec des boucliers. La cavalcade des chevaux en avait éteint
une grande partie et tellement désorienté les soldats qu’ils furent entièrement
pris par surprise quand nos guerriers presque nus bondirent de l’ombre en
donnant de grands coups d’épée, tandis que d’autres pénétraient de force dans
le palais que Cortés venait de quitter.
Les Espagnols préposés aux canons sur le toit du palais entendirent
bien du bruit, mais ils ne virent pas grand-chose et de toute façon, ils ne
pouvaient pas tirer sans tuer aussi leurs camarades. De plus, les rares Blancs
qui avaient eu
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