Azteca
accomplirent en
chemin la besogne des Ligoteurs et des Engloutisseurs. Ils relevèrent leurs
blessés et aussi les Espagnols qui serviraient pour les sacrifices et
achevèrent ceux qui étaient près de mourir.
Cortés et les siens purent se reposer à Tlacopan. Les Tecpanecá
n’étaient pas d’aussi valeureux combattants que les Texcalteca, mais ils
avaient eu l’avantage de la surprise. Aussi, quand Cortés arriva dans leur
ville, les Tecpanecá en avaient chassé ses alliés texcalteca vers le nord
d’Azcapotzalco et ils étaient toujours à leurs trousses. Les Espagnols
bénéficièrent donc d’un moment de répit pour panser leurs blessés, se ressaisir
et décider de ce qu’ils allaient faire.
Les principaux officiers de Cortés, Alvarado, Narvaez et d’autres –
ainsi que sa Malintzin – étaient toujours en vie, mais son armée n’était plus
digne de ce nom. Il était entré triomphalement dans Tenochtitlán à la tête de
mille cinq cents Espagnols et il en ressortait avec moins de quatre cents
hommes et une trentaine de chevaux. Il n’avait aucune idée du sort qui avait
été réservé à ses alliés indigènes. En fait, ceux-ci avaient été également mis
en déroute par les armées de la Triple Alliance. Il paraît que Cortés s’assit
alors contre un ahuehuetl et qu’il pleura. Je ne sais pas s’il pleura davantage
sa cuisante défaite ou la perte du trésor, mais on vient récemment d’installer
une grille autour de cet arbre pour commémorer à jamais cette Triste Nuit. Si
les Mexica avaient continué à écrire le récit de leur histoire, ils auraient pu
l’appeler la Nuit de la dernière victoire, mais ce sont les Espagnols qui
écrivent l’histoire maintenant, aussi je pense que cette nuit pluvieuse et
sanglante du trente juin mille cinq cent vingt portera toujours le nom de Noche
Triste.
***
En un sens, pour le Monde Unique, cette nuit n’avait pas été faste non
plus. Le malheur voulut que nos armées ne continuèrent pas à pourchasser Cortés
et ses hommes jusqu’à ce qu’ils soient tous exterminés jusqu’au dernier. En
effet, les guerriers de Tenochtitlán croyant que leurs alliés de la Triple
Alliance s’en chargeraient, abandonnèrent la poursuite et rentrèrent en ville
pour fêter ce qu’ils pensaient être une victoire totale. Les prêtres et la plus
grande partie de la population étaient toujours en train de célébrer leur
simulacre de cérémonie devant la pyramide de Tlatelolco et c’est dans la plus
grande allégresse que tout le monde se rendit au Cœur du Monde Unique pour une
véritable action de grâces à la grande pyramide. Béu et moi, entendant les cris
de joie des guerriers, nous quittâmes aussi la maison pour y assister et même
Tlaloc leva son rideau de pluie, comme pour mieux voir son peuple se réjouir.
En temps normal, nous n’aurions jamais organisé un rituel quelconque
sur la grand-place sans que chaque statue, chaque pierre soit débarrassée du
moindre grain de poussière, sans que le Cœur du Monde Unique brille de son plus
vif éclat pour le plaisir des dieux. Cette nuit, pourtant, à la lumière des
torches, on découvrit que la place était devenue un immense dépôt d’ordures.
Des corps gisaient partout, blancs et cuivrés, ainsi que des membres, des
entrailles. Le sol était jonché d’armes brisées, d’excréments de chevaux et
d’hommes et de tout ce que les Espagnols avaient abandonné en fuyant.
Cependant, les prêtres n’élevèrent pas la moindre protestation et la foule se
rassembla sans manifester trop de dégoût. Nous espérions tous que les dieux ne
s’offenseraient pas, pour une fois, de l’état déplorable des lieux.
Je sais, mes révérends, que vous avez toujours montré beaucoup de
répugnance en m’entendant évoquer des sacrifices humains, aussi je ne
m’attarderai pas sur l’immolation de vos propres compatriotes qui débuta dès
que Tonatiuh se leva. Notez seulement qu’une quarantaine de chevaux furent
également sacrifiés. Je vous dirai toutefois que les chevaux allèrent au trépas
bien plus dignement que les hommes qui juraient, se débattaient et criaient
tandis qu’on les tirait vers l’autel du sacrifice. Nos guerriers en reconnurent
certains qui s’étaient bravement battus contre eux et on découpa leurs cuisses
pour les faire cuire et…
Peut-être serez-vous moins horrifiés, mes frères, si je vous donne
l’assurance que la plupart des cadavres furent jetés
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