Ben-Hur
se trouva bientôt à la portée de la vue de Juda et de sa sœur. L’avant-garde se composait d’hommes aux armes légères, pour la plupart des frondeurs et des archers, marchant en rangs très espacés ; puis suivait un corps de soldats d’infanterie portant de lourds boucliers et des lances, pareilles à celles dont se servaient les héros qui se battaient sous les murs de Troie. Les musiciens venaient ensuite ; après eux, un officier à cheval, derrière lequel caracolait un détachement de cavalerie ; enfin on voyait déboucher dans le lointain une nouvelle colonne d’infanterie qui semblait ne jamais devoir finir.
Le mouvement cadencé des boucliers, l’éclat des cuirasses, des casques et des armes, les plumes qui se dressaient au-dessus des cimiers, les drapeaux et les aigles, le pas mesuré, le maintien grave de tous les hommes impressionnaient Juda malgré lui.
Il considérait avec une attention particulière l’aigle dorée de la légion, qu’elle dominait de toute la hauteur de sa hampe, et l’officier qui marchait, seul et la tête nue, au milieu de sa troupe. Une courte épée pendait à son côté, il tenait à la main un bâton de commandement qui ressemblait à un rouleau de papier blanc. Une housse de drap pourpre recouvrait son cheval, dont le mors était d’or et les rênes de soie jaune.
Bien qu’il ne fût pas encore arrivé au palais des Hur, Juda pouvait voir qu’il excitait violemment le mécontentement du peuple. Les hommes se penchaient en avant, le menaçaient de leurs poings et crachaient sur lui ; les femmes elles-mêmes lui lançaient leurs sandales et tous lui criaient : « Voleur, tyran, chien de Romain. À bas Ismaël, rends-nous notre Anne. »
À mesure qu’il s’approchait, Juda voyait qu’il ne partageait pas la superbe indifférence des soldats. Son visage était sombre et ses regards menaçants faisaient reculer les moins braves d’entre ses insulteurs. La couronne de lauriers posée sur sa tête indiquait clairement son rang. C’était Valère Gratien, le nouveau gouverneur de la Judée.
Après tout, Juda sympathisait avec ce Romain, sur lequel se déchaînait la fureur populaire, et, pour le voir mieux, au moment où il tournait le coin de la maison, il se pencha sur le parapet en appuyant sa main sur une brique branlante, qui se détacha des autres sous cette pression. Un frisson d’horreur le secoua et il étendit les bras, pour essayer de la retenir, avec un mouvement qui pouvait faire croire qu’il la jetait, au contraire, dans la rue. Son effort échoua ; bien plus, il ne réussit qu’à détacher du parapet d’autres morceaux de briques. Il poussa un cri désespéré. Les soldats levèrent la tête, ainsi que le gouverneur ; au même instant le projectile atteignit celui-ci à la tête et il tombait comme mort de son cheval.
La cohorte fit halte ; les gardes, mettant pied à terre, se précipitèrent vers leur chef, pour lui faire un rempart de leurs boucliers, tandis que la foule, persuadée qu’il s’agissait d’un coup de main prémédité, acclamait bruyamment le jeune homme, qui demeurait atterré et ne comprenait pas trop bien les conséquences probables de son acte involontaire.
Un frénétique désir de l’imiter s’emparait des spectateurs. Ils démolissaient les parapets des toits, arrachaient les briques, pour les jeter sur les légionnaires arrêtés dans la rue. Il s’en suivit une mêlée générale, dans laquelle la victoire finale demeura à la force armée et disciplinée. Pendant ce temps, Juda s’écriait, en tournant vers sa sœur son visage mortellement pâle :
– Ô Tirzah, Tirzah, qu’allons-nous devenir ?
Elle n’avait pas vu tomber la pierre, cause première de ce déchaînement de fureur, et, bien qu’elle comprît que quelque chose de terrible venait de se passer, elle ne soupçonnait pas encore le danger qui la menaçait, ainsi que tous ceux qu’elle aimait.
– Qu’est-il donc arrivé ? lui demanda-t-elle, saisie d’une soudaine alarme.
– J’ai tué le gouverneur romain. Une brique détachée par ma main est tombée sur lui.
Les roses de ses joues s’effacèrent, une teinte terreuse s’étendit sur sa figure. Elle entoura son frère de ses bras et le regarda d’un air désolé, sans prononcer une parole. Les craintes qu’il éprouvait se communiquaient à elle ; mais en la voyant si troublée, il reprit un peu de courage.
– Je ne l’ai pas
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