Ben-Hur
pièces d’or retombant sur son front, d’autres se mélangeaient aux tresses de ses cheveux, d’un noir bleuté. Elle regardait autour d’elle avec indifférence. Contre les règles admises parmi les femmes de qualité, elle tournait vers la foule un visage découvert.
Vraiment il valait la peine d’être vu, ce visage resplendissant de jeunesse, et d’une forme exquise. Son teint n’était pas blanc comme celui d’une Grecque, ni brun comme celui d’une Romaine, il n’avait pas davantage la fraîcheur d’une Gauloise, mais sa peau fine, laissant transparaître son sang vermeil, devait avoir emprunté sa nuance chaude et dorée au soleil des bords du Nil. Ses cils noircis, suivant un usage immémorial en Orient, agrandissaient encore ses yeux, naturellement grands. Ses lèvres roses, entr’ouvertes, laissaient voir une rangée de dents d’une blancheur éclatante.
Quand elle eut suffisamment inspecté les alentours, cette royale beauté dit quelques mots au conducteur, un Éthiopien corpulent. Il fit agenouiller le chameau, à côté de la fontaine, après quoi elle lui tendit une coupe, qu’il se disposait à remplir d’eau, quand un bruit de roues et de sabots de chevaux fit pousser un grand cri aux admirateurs de la jeune fille, qui se dispersèrent de tous côtés.
– Je crois que le Romain s’est mis en tête de nous écraser tous ! s’écria Malluch, en donnant à Ben-Hur l’exemple de la fuite.
Ce dernier tourna les yeux dans la direction d’où venait le bruit et aperçut Messala qui, debout dans son char, s’avançait de toute la vitesse de ses chevaux vers la fontaine. Chacun se sauvait ; seul le chameau ruminait, les yeux fermés, avec l’expression de béatitude propre aux animaux habitués à être traités en favoris. Il aurait fallu d’ailleurs qu’il fût doué d’une agilité inconnue à ses congénères pour échapper aux sabots qui allaient se poser sur lui. L’Éthiopien, effrayé, agitait ses mains. Le vieillard, assis dans le palanquin, essayait d’en sortir, mais l’âge et le souci de sa dignité faisaient trop partie de sa nature pour qu’il pût oublier un instant son calme majestueux. Quant à la jeune femme, il n’était plus temps, pour elle, de songer à se sauver. Ben-Hur, placé tout près d’eux, cria, en s’adressa à Messala :
– Arrête. Regarde donc où tu vas ! Arrête, te dis-je !
Le patricien riait d’un air de bonne humeur et Ben-Hur, voyant qu’il n’y avait pas pour les étrangers d’autre chance de salut, s’élança à la tête des chevaux et s’y suspendit de toutes ses forces.
– Chien de Romain ! criait-il. Fais-tu si peu de cas de la vie des autres ?
Les chevaux firent un brusque saut de côté et le char pencha si bien que Messala dut à sa seule adresse de n’être pas jeté sur le sol. Quand ils virent le péril conjuré, tous ceux qui venaient d’assister à cette scène se livrèrent à des éclats de rire bruyants, ironiques.
Le Romain fit preuve, en cette occasion, d’une audace sans égale. Il jeta les rênes à son domestique et s’avança vers le chameau en regardant Ben-Hur, mais en s’adressant au vieillard et à sa compagne.
– Pardonnez-moi, je vous le demande à tous les deux, dit-il. Je suis Messala et je vous jure que je ne voyais ni vous, ni votre chameau ! Quant à toutes ces bonnes gens, il se pourrait que je me fiasse trop à mon habileté. Je me promettais de rire à leurs dépens, – c’est à eux de rire aux miens, je le leur permets de grand cœur.
Son regard insouciant et bon enfant s’accordait parfaitement avec ses paroles. Chacun se tut pour l’écouter et, certain d’avance de gagner sa cause auprès de ceux dont il avait encouru le déplaisir, il fit signe à son compagnon de conduire son attelage un peu à l’écart et s’adressa hardiment à la jeune femme.
– Tu t’intéresses à ce vieillard dont je solliciterai tout à l’heure humblement le pardon, si je ne l’ai point déjà obtenu. Tu es sa fille, je suppose.
Elle ne lui répondit pas.
– Par Minerve, sais-tu que tu es belle ? Je me demande quel pays peut se vanter de te compter parmi ses enfants ? Ne te détourne pas de moi, je te prie, afin que je puisse essayer de déchiffrer cette énigme. Le soleil des Indes brille dans tes yeux, mais l’Égypte a posé son sceau sur les coins de ta bouche. Sois miséricordieuse envers ton esclave, maîtresse, et dis-moi que toi, du
Weitere Kostenlose Bücher