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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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où les choses marchent mieux, où les services publics se montrent plus réceptifs.
    Longtemps avant le changement de millénaire, les Indiens, à commencer par l’ancien Premier ministre Rajiv Gandhi, pensaient déjà faire entrer leur pays dans le XXI e siècle. Comme si le XX e siècle n’était qu’une parenthèse à refermer au plus vite. L’Inde aspire à la modernité : elle veut des ordinateurs et les technologies de l’information, des réseaux neuronaux, des caméras vidéo partout. Pourtant la fourniture d’électricité est loin d’être assurée en continu sur la majeure partie du territoire national. Dans ce domaine comme dans tous les autres, le pays se rit de l’obstacle des savoirs fondamentaux : ici, on ouvre des écoles d’informatique et de gestion de niveau international, inaccessibles aux millions d’analphabètes ; on est à la pointe de la chirurgie cardiaque et de l’imagerie médicale alors que les maladies infantiles les plus faciles à soigner restent endémiques ; tout le monde n’a pas l’eau courante, loin de là, mais on vend des machines à laver au fond de boutiques plongées dans le noir presque toute la journée à cause des coupures d’électricité ; on subventionne une bonne dizaine d’opérateurs de téléphonie mobile publics et privés au lieu de remettre en état le réseau téléphonique national ; on inonde le marché de voitures neuves capables de passer en dix secondes de zéro à cent kilomètres à l’heure, alors qu’il n’existe pas de routes où cette performance soit réalisable, sauf à tuer tout ce qui bouge, hommes et bêtes.
    Selon cette vision optimiste du progrès technologique, il faut vouloir la lune très fort : alors, la distance qui nous en sépare se franchit comme par enchantement. Sa main-d’œuvre technique place l’Inde au troisième rang mondial, mais un tiers de son milliard d’habitants ne sait ni lire ni écrire. Un scientifique indien peut parfaitement concevoir un superordinateur, mais l’appareil ne marchera pas car le personnel chargé de la maintenance n’est pas suffisamment compétent. Ce pays qui forme les plus brillants cerveaux techniques du monde ne juge pas nécessaire d’apprendre à mon plombier à réparer les toilettes une bonne fois pour toutes. Toujours brahmane dans l’âme, le système d’éducation rejette ceux qui travaillent de leurs mains. L’enseignement porte sur la lecture et l’écriture, les abstractions, les grandes idées.
    Résultat, dans le Pays du Non rien ne s’arrange du premier coup. Ici, on ne se contente pas d’appeler un réparateur, on entame une relation avec lui. On ne peut pas non plus lui déclarer ex abrupto que c’est un nul ou un escroc car on aura bientôt besoin de lui pour arranger ce qu’il vient de casser. Les Indiens sont des artisans de génie, mais la production de masse et la standardisation qu’elle implique n’est pas leur fort. À Bombay, tout ce qui est moderne coince : la plomberie, le téléphone, la voiture, occasion d’embouteillages monstres. Bombay n’a rien de la ville indienne telle qu’on pouvait la concevoir. C’est une imitation de ville occidentale dont le modèle serait le Chicago des années vingt. À l’instar des autres imitations de l’Occident si prisées dans le pays – les chansons pop en hindi, l’électroménager, les accents que les gens se donnent, les soirées chic –, Bombay n’est ni d’ici ni de là-bas.
     
    Une des batailles à livrer pied à pied, au Pays du Non, concerne l’approvisionnement en gaz. Le gouvernement a le monopole du gaz à usage domestique, livré dans de grosses bombonnes rouges. Le jour où je me présente au bureau qui s’occupe de la chose pour le quartier de Malabar Hill, l’employé assis derrière le guichet me rétorque que les quotas sont dépassés. Les plans quinquennaux nationaux ne prévoient pas d’ajuster l’offre à la demande.
    « Ce sera possible quand ?
    — Peut-être en août. »
    Nous sommes en mai. Dans l’intervalle, nous n’aurons qu’à manger des sandwichs.
    De divers côtés, on me conseille de tenter ma chance au marché noir. Me voilà donc parti avec ma tante pour essayer de kidnapper un livreur de gaz. Justement nous en croisons un sur son vélo, dans Harkness Road. Ma tante bondit hors de la voiture et lui demande de but en blanc combien il me prendrait pour me fournir une bonbonne ; le problème, explique-t-il, ce n’est pas tant cette

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