Bombay, Maximum City
kilomètres à l’heure au maximum.
La situation a cela de positif qu’en ville le nombre des accidents a effectivement diminué : entre 1991 et 1994, il a été ramené de 25 477 à 25 214, avec 319 morts « seulement » au lieu de 365. Ces statistiques confirment une observation que j’ai moi-même constatée : les automobilistes ont beau conduire n’importe comment, il y a très peu de casse. Ils ne vont pas assez vite pour être vraiment dangereux et peuvent toujours freiner à temps.
Les villes modernes n’ont pas su faire la paix avec l’automobile. Elles sont ce qu’elles sont à cause des voitures ; ceux qui roulent dedans vivent de plus en plus loin du centre. Les grandes villes continuent de grandir sous la poussée des autos et Bombay est d’ores et déjà asphyxié. Dans les trois immeubles Dariya Mahal, il y a deux voitures par appartement. En conséquence de quoi le personnel de gardiennage se livre en permanence à un jeu de chaises musicales avec les places de parking. La conversion des garages en supérettes, cabinets médicaux et ateliers de photocopieuses n’a pas arrangé les choses. Sans que rien n’ait été prévu pour, les commerces se sont brusquement multipliés dans le quartier de Malabar Hill. Les trottoirs ont disparu, et les gamins s’aventurent sur la chaussée à leurs risques et périls. Le terrain de jeux de mon enfance était un territoire que nous disputions aux bagnoles. Nous jouions entre, et autour. Or, les voitures ont sur l’intelligence humaine le même avantage que les insectes : la fécondité. Elles ont gagné la bataille. Aujourd’hui les enfants ne jouent plus sur le parking. Ils restent chez eux à regarder la télé.
Peu de temps après mon emménagement ici, mon amie Manjeet est venue me rendre visite. Quand elle arrive, ma place de parking où je lui avais dit de se garer est occupée par un autre véhicule. Alerté, je descends et trouve une Manjeet décomposée qui se cramponne à son volant au milieu d’un cercle menaçant de vigiles et de domestiques. Le gardien à qui je demande des explications m’indique un homme qui se tient dans l’entrée ; petit et trapu, visiblement éméché, ce quadragénaire moustachu veut savoir à qui il a affaire. Je lui retourne la question. « Je suis du comité de parking de l’immeuble ! » hurle-t-il en se penchant vers moi à me toucher.
Pendant ce temps, la bande de voyous jette des capsules de bouteilles et des cailloux sur la voiture de Manjeet. Ayant enfin réussi à arracher au gardien le nom du propriétaire du véhicule stationné à ma place, je vais sonner chez lui, au premier étage. Très détendu, ce type qui me reçoit en dhoti semble penser qu’il peut s’approprier cet emplacement au motif que personne ne s’en est servi depuis longtemps. « Votre appartement est resté inoccupé pendant un an, si ce n’est un an et demi. » J’exige qu’il descende avec moi et déplace sa voiture. Très énervé, je le préviens que je n’hésiterai pas à appeler la police et à faire embarquer l’ivrogne. « Surtout ne faites pas ça », dit-il en me regardant. Il s’arrête un instant et, sans cesser de me fixer, ajoute sur un ton très sérieux : « Vous ne savez pas de quoi cet individu est capable. »
Il libère la place sur laquelle je gare moi-même la voiture de Manjeet. L’ivrogne traîne à nouveau dans les parages, à quelques pas de nous, en compagnie d’un jeune homme curieux de savoir ce qui s’est passé. Refusant de m’attarder davantage, je remonte chez moi avec mon amie. Un peu plus tard, le jeune homme sonne à la porte.
« Un des pneus de la voiture est à plat, annonce-t-il. Ce type a dévissé la valve, je l’ai vu, mais ne descendez pas tout de suite, il est toujours en bas. Je vais l’éloigner, ensuite je vous conduirai à la station-service pour faire regonfler le pneu.
— Ça ne se passera pas comme ça ! Je vais lui montrer de quel bois je me chauffe !
— Non, attendez ! Pensez à votre famille. Où iriez-vous habiter ? »
Le jeune homme me raconte que l’ivrogne est médecin, qu’il habite au huitième et a, de notoriété publique, un fichu caractère. « Pourquoi avoir emménagé ici ? me demande le jeune homme. Tout le monde cherche à partir. »
Il est vrai que, même selon les critères de Bombay, l’immeuble est géré de façon calamiteuse. Cette nuit-là, tout en me tournant et en me retournant dans mon lit, je
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