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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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destinations. Ça sonne bien, ça me plaît. À la fin, personne ne s’exclame « wah, wah » comme le font sans doute ses auditeurs au Bihar. Un silence embarrassé tombe au contraire sur l’assemblée. A-t-il autre chose ? s’enquiert l’architecte. Il nous en lit un deuxième, rédigé la veille au soir – un trottoir sous la lumière d’un réverbère –, qui produit la même réaction. Je lui demande s’il a aussi écrit sur Bombay. Il me sort une liasse de feuilles entièrement couvertes, jusqu’à la dernière, d’une écriture serrée sans blancs ni marges. Trop tard, cependant ; les gens assis autour de la table ne s’intéressent plus à sa poésie. Il sort encore un agenda, lui aussi complètement noirci. Encore des poèmes ?
    « Non, c’est mon journal. J’écris dedans tous les jours. »
    Je lui donne mon nom et mon numéro de téléphone. D’une écriture appliquée, il note à son tour son nom dans mon carnet : Babbanji. Il s’arrête là. C’est tout ? Oui. Il n’a pas le téléphone. Ce soir, il va essayer de se trouver un bout de trottoir où dormir. Il pense essayer du côté de Churchgate. Tout ce qu’il possède se trouve dans son sac fourre-tout. Il m’appellera après-demain. Je vais essayer de lui trouver un boulot.
    À cette fin, j’enrôle Girish, qui bien qu’il n’arrive pas à gagner sa vie n’a pas son pareil pour trouver du travail à des tas de gens. Je l’observe interroger Babbanji : « Tu as combien de sous devant toi ? Tu ne connais vraiment personne à Bombay ? Il n’y a pas quelqu’un qui pourrait te recommander ? » Puis il me demande mon mobile et appelle son ami Ishaq. Le D r  Shahbuddin, le cousin d’Ishaq, a décidé d’ouvrir un dispensaire et il aurait besoin d’un assistant pour le seconder de neuf heures du matin à treize heures trente, puis de six heures à neuf heures du soir. Cela laisserait à Babbanji tout l’après-midi pour écrire, ce qui n’est tout de même pas si mal. En plus, il pourrait habiter au dispensaire, dire adieu au trottoir.
    Il n’est pas enthousiaste. « Je veux bien faire n’importe quoi en lien avec l’écriture ou la lecture. Je pensais plutôt à une revue, un journal. »
    Alors, tant pis. Girish a fait ce qu’il a pu. Il a tendu la main à ce parfait inconnu, il a essayé de lui rendre la vie plus facile.
    « Les Biharis sont tous des voleurs ! » Ainsi Ishaq a-t-il accueilli la perspective d’engager Babbanji, lui qui vient d’Azamgarh, capitale du crime de l’Uttar Pradesh. Les deux États sont limitrophes mais le Bihar a plus mauvaise réputation encore. L’Inde moderne est polarisée entre le Bihar et Bombay, symboles l’un du désastre, l’autre de la réussite. J’ai déjà entendu des gens bien affirmer qu’il suffirait de débarrasser Bombay des migrants biharis pour en faire une ville-État en plein essor, à l’image de Singapour ou de Hongkong. Les Biharis de Bombay sont serviles et sournois. Aussi indélébile que la marque de Caïn, la réputation de son État colle à la peau de Babbanji : les Biharis sont tous des voleurs. C’est au mot près ce qu’a déclaré Azharuddin, le capitaine de l’équipe de cricket indienne, quand à l’issue d’un match au Bihar il n’a pas retrouvé sa casquette.
     
    Dans l’appartement de mon oncle, Babbanji reste longtemps planté devant la fenêtre à contempler la mer depuis le dix-huitième étage. Il a amené son sac de voyage en toile bleue frappé du logo Marlboro, il porte la même chemise écossaise que la dernière fois, avec des boutons en métal. Elle n’est pas sale ; sans doute se débrouille-t-il pour la laver quand il fait ses ablutions. Sans mot dire, il s’assied, prend une feuille et se met à composer un poème. De temps en temps, il lève la tête vers la vue qui l’inspire. Quand il a fini, il me le lit tout haut : il y parle de la mer où les rivières du monde peuvent venir se jeter ; ouverte à toutes, elle n’en refuse aucune. Le poète promet de ne jamais quitter la mer.
    Il s’étonne que tout le monde parle anglais, à Bombay. Avant de venir ici il est allé à Matunga, et il a entendu le fils d’un chai-wallah s’adresser à son père dans cette langue – « Hey, Dad ! » Le vendeur de thé a crânement essayé de répondre, car la mère du gamin tient à ce qu’il s’exprime en anglais. Cela ne dit rien qui vaille à Babbanji ; au Japon, souligne-t-il, on trouve très bien

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