Bombay, Maximum City
personnalité de Sunil le meurtrier et de vérifier dans quelle mesure les émeutes l’avaient changé, j’ai donc décidé de retourner à Jogeshwari le jour des élections de 1998. Aussi mince et souriant que jamais, Girish à qui j’avais passé un coup de fil m’attendait à Churchgate pour me conduire là-bas.
J’ai retrouvé Sunil et les jeunes avec qui j’avais pris un verre au chowk {58} de Jogeshwari. Au cours des dix-huit mois écoulés depuis cette rencontre, Sunil a grimpé les échelons. Le jour du rendez-vous, il porte une chemise blanche immaculée, un pantalon noir, des lunettes de soleil, et joue ostensiblement avec la chaîne à laquelle est accrochée la clé de sa moto neuve. Âgé maintenant de trente ans, il a un fils, en plus de sa fille. Aussi cordial qu’autrefois, il entreprend tout de suite de me présenter aux uns et aux autres. « Mehta est venu écrire un bouquin sur la guerre », dit-il en guise d’introduction. Ceux que j’ai déjà rencontrés m’accueillent avec de grands sourires. Bhikhu Kamath, le chef de la shakha, fait arrêter son rickshaw et prend mes deux mains dans les siennes.
Sunil m’invite à l’accompagner dans sa tournée de démarchage électoral pour le compte de Ram Naik, candidat du BJP-Sena au poste de député. « Tout ce que tu vas entendre ne sera pas joli, joli, me prévient Sunil en riant. C’est le démarchage qui veut ça. » Autour du bureau de vote, des lignes blanches tracées sur la chaussée s’étendent sur près de deux cents mètres dans toutes les directions, délimitant le périmètre à l’intérieur duquel il est interdit de stationner et de distribuer des tracts. Tout le monde veut que je voie comment se déroule le scrutin ; des gens décidés à me prêter main-forte affluent vers moi tandis que je fais les cent pas devant l’école qui sert de bureau de vote. Je finis par y pénétrer en compagnie de Dharmendra, le frère de Girish, mais arrêté à la porte de la salle je dois me contenter de l’observer à distance. Un assesseur cherche le nom et le numéro de mon guide sur une liste, découpe un bulletin de vote à l’aide d’une règle en acier coulissante, prend l’empreinte de son index. Muni du sceau, Dharmendra se glisse derrière une barrière en carton érigée à hauteur de poitrine, appose le sceau sur son bulletin, plie celui-ci et le glisse dans l’urne. Pour quantité d’autres électeurs, les choses ne sont pas aussi simples : bien des gens se présentent au bureau de vote pour découvrir que leurs nom et adresse sont déjà cochés en rouge sur la liste, autrement dit que quelqu’un a voté à leur place, les privant ainsi de leur droit à effectuer le seul choix significatif autorisé en démocratie. Ils peuvent toujours protester, donner des preuves de leur identité et de leur bonne foi, cela ne change rien. Ils arrivent trop tard.
Le personnel des états-majors de campagne qui s’active sous les tentes, devant le bureau de vote, aide les électeurs à trouver leur numéro d’enregistrement et le leur remet sur un reçu. Ces gens sont payés par les partis politiques, mais les tarifs varient du simple au double : cinquante roupies pour ceux qui travaillent avec le Sena-BJP, cent roupies pour ceux du Congrès, à quoi s’ajoutent des puris, des légumes, du sheera {59} , une sucrerie. J’en déduis tout de suite que le Sena-BJP va gagner : on se fait payer plus cher pour soutenir un perdant. Bhatia, partisan du Congrès, confirme mon intuition. Il ne se sent pas très engagé, bien qu’il milite dans ce parti depuis sa jeunesse, et il m’explique à sa manière pourquoi les suffrages ne se porteront pas sur les sortants : « Le Congrès a déjà mangé, il a le ventre plein. Le Sena, lui, n’a pas mangé. Ce sont deux bandes de voleurs mais le Congrès a fait le plein, il est repu. »
Désireux d’en apprendre plus long sur la vie de Sunil, je l’emmène avec Girish manger dans un restaurant sélect de Lokhandwala. Il est éclairé par des bougies – un raffinement qui, selon Girish, « sert à économiser l’électricité ». Bien décidé à me montrer que ce décor ne l’impressionne pas, Girish bouscule les serveurs pour un oui ou pour un non. « Ils en mettent du temps à apporter la commande », râle-t-il. J’observe alors à haute voix qu’il a pris du galon, ce que Sunil confirme en ces termes : « Il a le powermoni, maintenant » – le pouvoir de
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