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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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certaines années on a frôlé l’incident. Il est arrivé que les musulmans jettent des pierres aux hindous qui défilent. La menace d’un débordement hante les forces de sécurité qui, l’an dernier encore, étaient beaucoup plus imposantes, de même d’ailleurs que la foule. Perché sur le camion, Amol la galvanisait en braillant ses slogans ; cette année, la police lui a demandé d’en descendre au moment de passer devant la mosquée et il a obtempéré. La procession que j’ai suivie ce soir a eu beau être provocatrice en diable de par l’invocation des grands guerriers hindous, les explosions des pétards, les danses sacrilèges, elle s’est déroulée dans les meilleures conditions possibles. Pas d’invectives contre les fils d’Allah, pas de porcs jetés sur la mosquée. Mieux : quatre musulmans sont venus danser avec Amol et ses amis, des hindous qui cinq ans plus tôt massacraient leurs familles.
    Le chauffeur de taxi qui me ramène chez moi a sur son tableau de bord une petite châsse renfermant Shridi Saï Baba sous une ogive illuminée, à côté d’un verset du Coran écrit en arabe.
    Au moment de sortir, je lui demande ce que c’est.
    « Ça ? fait-il en montrant la petite guirlande de lumières qui éclaire l’objet pieux.
    — Non, ça, dis-je, le doigt tendu vers le texte en arabe.
    — C’est musulman.
    — Et vous avez aussi Saï Baba ? »
    Tournant la tête vers moi, il acquiesce avec un grand sourire. J’en suis tout joyeux. Il y a encore de l’espoir.
    Je vais rendre visite à Amol, qui vit en famille dans un deux-pièces du slum. Je le surprends au sortir du bain, vêtu en tout et pour tout d’une serviette nouée autour de la taille. Le torse est puissant, les bras musclés. Amol travaille à la grande laiterie de la route principale. Sa belle-sœur m’apporte une tasse de lait chaud sucré. Du lait de bufflonne, crémeux, épais, que j’ai du mal à avaler. Une tache noire s’étale à la surface, un dépôt solide capitonne l’intérieur de la tasse, mais je m’oblige à la vider pour ne pas froisser mes hôtes. Amol me propose de rester dîner. Je décline. Cela fait rire la belle-sœur qui lui glisse en marathi : « Il a vu comment c’est, ici, alors il craint. »
    Encore plus exigu que celui du voisin Girish, le logement est néanmoins équipé du confort électroménager de base : frigo, télé, téléphone. Dans un coin, un escalier qui mène à la pièce du dessus. Un adorable bout de chou de sept mois, la nièce d’Amol, se traîne à quatre pattes par terre, tend la main vers une bouteille de whisky remplie d’eau qu’elle n’arrive pas à attraper et éclate en sanglots. On s’empresse de la consoler. Ici la solitude n’a pas droit de cité. Ni les pleurs des bébés ni les beuglements de la télé n’empêchent Amol de dormir. Ces temps-ci, il passe ses nuits dehors et ses journées à roupiller ; il a trouvé un copain pour travailler à sa place à la laiterie. Il lui refile son salaire et peut ainsi se bagarrer à sa guise, le soir venu.
    Comme Sunil, Amol vit de la bagarre. Ces hommes qui lui doivent leurs situations, le respect auquel ils ont droit, leurs moyens d’existence n’imaginent pas le monde sans elle. Vitale, la bagarre oblige en permanence à nouer et dénouer les alliances, en conséquence de quoi les mots « ami », « ennemi », « être humain » prennent un sens très relatif. La bagarre que livrent Sunil et Amol concerne la répartition des postes sur l’échelle des allégeances : qui est dans le groupe de qui, qui va se présenter aux prochaines législatives, qui touche une part, et laquelle, du flux d’argent incessant versé aux syndicats, à la police, au gouvernement, à des ennemis jurés en échange de leur parole d’interrompre le cycle de la vengeance.
    À Bombay, bagarre se dit lafda –  un mot qui peut aussi désigner une liaison amoureuse ou un imbroglio sentimental. Chaque fois qu ’ une lafda éclate, un attroupement se forme, le plus près possible pour ne rien perdre du spectacle, et chacun regarde de tous ses yeux, en connaisseur. «   À Bombay, suppute Amol, il doit bien y avoir une dizaine ou une quinzaine de lafdas par jour.   » Les fantassins de ce combat, ce sont les taporis, les voyous des rues. Les bhais et les netas {66} font constamment appel à eux pour défendre leurs positions personnelles. Trop exalté pour faire un bon tueur, trop peu diplomate pour devenir

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