Bombay, Maximum City
jours plus tard, il garait sa voiture sur le parking de son bureau quand une fusillade a éclaté. Un passant qui se trouvait à proximité a reçu les deux premières balles ; la troisième a traversé la jambe de Khairnar.
Rétabli, il s’est derechef attaqué au parrain de Bombay, Dawood Ibrahim, qui par le truchement de sa femme était propriétaire d’un immeuble construit sans permis, le Mehejebin. La veille de la démolition, des policiers fouillèrent les lieux avec des chiens dressés à détecter des substances explosives. Le jour dit, Khairnar se rendit sur place en personne, escorté d’une armée de quatre cents hommes, dont des paramilitaires de la force de surveillance des frontières, et il éventra le bâtiment avec un boulet de démolition de trois tonnes. Depuis 1992, il a ainsi réduit en poussière vingt-neuf autres édifices appartenant à Dawood. Plus sensibles que lui aux menaces du chef mafieux, ses hommes le suppliaient de se montrer moins intransigeant ; l’entrepreneur qui fournissait le matériel de démolition à l’équipe finit par dénoncer son contrat.
La presse présentait Khairnar en héros, mais son supérieur, le commissaire municipal, ne lui cacha pas qu’il subissait de très fortes pressions pour lui mettre des bâtons dans les roues. La création du haut comité constitué quelque temps plus tard pour superviser les démolitions et le priver ainsi de sa liberté de manœuvre le décida à révéler les agissements de la classe politique. Invité à des réunions publiques par les puissants vertueux qui voyaient en lui un rempart contre les politiciens véreux, il prononça des diatribes enflammées émaillées de folles allégations. Après lui avoir vainement demandé de renoncer à sa campagne de dénonciation, en 1994 le commissaire municipal le suspendit de ses fonctions pour insubordination caractérisée. Sa disgrâce dura quelques années, pendant lesquelles il continua à venir s’asseoir à son bureau, sous un buste de Vivekananda, mais on ne lui confiait plus la moindre tâche. Il avait du temps à ne plus savoir qu’en faire, qu’il mettait à profit pour parler. Il fonda une ONG de défense des prostituées ; il organisait des raids contre les bordels, « sauvait » des mineures de la perdition. Réintégré à son poste en 2000, il se remit d’arrache-pied à son œuvre de démolition et retrouva la une des journaux, héros malgré lui des bourgeois, gros et petits, qui ont la chance d’avoir un toit.
Cinq ans ont passé depuis les émeutes, et la ville entière s’arme de courage en vue de l’autopsie : la publication du rapport de la commission Srikrishna. « On a affûté les couteaux, par ici », me dit un jeune homme du district musulman de Madanpura, la veille du jour prévu pour cette publication. Les forces paramilitaires sont sur le pied de guerre. Le gouvernement Sena ne peut pas ajourner les choses plus longtemps ; le juge Srikrishna a invité les groupes militants à porter plainte contre lui, parce qu’il s’est rangé du côté de ceux qui exigeaient la publication de son rapport.
Ce document a un retentissement qui dépasse, et de loin, le simple effet cathartique qu’en espérait son auteur : il rend sa fierté à Bombay. Le rapport de la commission Srikrishna procède à une étude détaillée des émeutes et en rejette la responsabilité sur leurs fomentateurs : Thackeray et la police municipale.
En général expérimenté, Bal Thackeray, le pramukh du Shiv Sena, a donné l’ordre à ses fidèles partisans au sein de cette formation de se venger des musulmans par des attaques organisées. Les saïniks {64} ont monté ces dernières avec une précision toute militaire, en dressant des listes d’établissements et en s’appuyant sur les listes électorales.
Le gouvernement Sena dénonce officiellement le rapport en accusant son auteur d’être de parti pris contre les hindous. Or, il se trouve que le juge Srikrishna est un fin lettré, familier des textes sanskrits. L’accusation ne trompe donc personne ; la foi en l’hindouisme de ce magistrat n’a sûrement rien à envier à celle d’un Bal Thackeray.
Dans ces pages, le juge Srikrishna cite nommément trente et un policiers coupables d’atrocités (ils ont tué des gens à bout portant ou ont dirigé des bandes d’émeutiers). En définitive, pourtant, pas un mot de ce qu’il a couché noir sur blanc ne conduira directement un seul de ces
Weitere Kostenlose Bücher