Bombay, Maximum City
neta, trop limité pour s ’ imposer en bhaï, Amol est resté tapori dans l ’ âme. Échauffé par l ’ alcool, il se bat à mains nues ou avec les armes improvisées placées à sa portée : bocaux en verre alignés dans la devanture d ’ une boutique, lames d ’ origine diverse, morceaux de rail de chemin de fer. Il compte de fidèles supporters parmi les taporis mais ne pourra jamais grimper aussi haut que Sunil. Celui-là ne risque jamais sa peau dans une lafda. Amol, lui, fonce en tête, sans se soucier des choses importantes qui se traitent à l ’ arrière, où les gros malins préparent le prochain coup. Lorsqu ’ il a fallu nommer un chef divisionnaire pour le parti, Bhikhu Kamath, le pramukh de la shakha, a jeté son dévolu sur Sunil. Dégoûté, Amol a choisi de faire cavalier seul aux élections législatives suivantes. Sunil a saoulé les types qui s ’ occupaient de sa campagne et Amol a perdu au profit de la coalition BJP-Sena.
Dans le restaurant où nous dînons tous les deux, Amol m ’ explique que Sunil est une tête politique. « Il se prend pour un député, même aujourd ’ hui. » Ce jugement n ’ a rien de flatteur, venant d ’ Amol qui se veut d ’ abord fantassin, bien qu ’ il soit brahmane alors que Sunil est un Marathe. Reste que dans le Bombay actuel le vrai pouvoir appartient aux Marathes, pas aux brahmanes peshwas comme dans l ’ ancien temps. En règle générale, Sunil se charge de répartir le butin provenant de leurs diverses entreprises illicites et il s ’ en octroie la plus grosse part. Amol sait qu ’ il est lésé ; et que leur rivalité se terminera tôt ou tard dans le sang. Malgré cela, il se sent obligé de corriger les impudents qui disent du mal de Sunil. « Je crois qu’il m’est supérieur, avoue-t-il. Dans mon groupe, c’est lui qui commande. »
Amol n’a plus foi dans le Saheb. « Avant, j’avais plus de respect pour Balasaheb que pour Dieu. Maintenant, il glande à Matoshree avec une fille sous une main et un verre dans l’autre pendant que nous on se fait tabasser en prison. Je vais enlever la photo de Balasaheb que j’avais accrochée au mur et je mettrai la mienne à la place. Tout ce que le Congrès n’avait pas bouffé en quarante ans de pouvoir, le Sena s’en est empiffré en trois mois. » Amol a remarqué que les grandes entreprises quittent Bombay ; il voit les effets des licenciements dans son quartier, mais il fait partie des petites gens aux espérances modestes qui ne rêvent pas d’aller vivre à Malabar Hill. Il a délimité le petit espace vacant qui s’étend devant chez lui et aimerait agrandir la maison, construire un balcon. Son plaisir, il le trouve dans les bars à bière, en compagnie de ses semblables. Sans être particulièrement pieux, ils restent volontiers pratiquants, et si la plupart affichent leur loyauté à l’égard de la nation indienne, pour autant ils ne s’engagent pas dans l’armée.
Pensif, Amol engouffre la nourriture en s’aidant d’une cuillère et d’une fourchette. La tête basse il marmonne : « On va entrer dans une époque dangereuse.
— Pourquoi ?
— Les gens n’ont pas de boulot. Les jeunes sont au chômage, ils traînent, et la vie est si chère. Le gamin qui a envie d’aller dans un bar à filles pour y boire un verre ou deux va dépenser tout ce qu’il a, après il n’a plus un sou pour la famille. C’est facile d’habituer les jeunes à fréquenter les bars à filles, à vivre grand style. Après on est sûr qu’ils feront n’importe quoi pour toucher du fric.
— Et quelles en seront les conséquences ?
— Le prix d’un meurtre va baisser à deux cents roupies.
— Comment est-il possible de tuer, Amol ? Comment un homme peut-il faire ça ?
— Tu es écrivain. Quand tu as bu, tu te dis bon, maintenant il faut que j’écrive une histoire. Si tu étais danseur, après t’être torché tu aurais envie de danser. Et si tu étais un tueur, tu te dirais bon, maintenant il faut que je zigouille quelqu’un. » Amol gonfle ses biceps. Ainsi va le monde. À chacun son job, selon sa nature.
En permanence, Bal Thackeray doit canaliser les énergies violentes de ses hommes afin d’éviter de les perdre au profit des gangs mafieux. Aussi s’invente-t-il sans cesse de nouveaux ennemis, en particulier parmi les artistes, d’autant plus faciles à attaquer qu’ils sont incompris par le gros de ses électeurs. En 1998, les militants
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