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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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passer des biens de production tangibles – le textile, le cuir, les voitures – à des choses moins concrètes : les images filmiques, les pyramides de participations qui partout dans le monde forment des entreprises invisibles. La ville doit s’adapter, tirer un trait sur l’époque de la fabrication manuelle pour exploiter et vendre de l’intelligence : des idées, des données, du rêve. Cela impose de transformer les lieux de travail en bureaux, pas en usines modernisées.
    Rahul, qui a fait ses études à Harvard, a récemment eu l’occasion de revenir dans la ville américaine de Cambridge, et il a pu constater qu’en dix ans elle n’avait pas changé d’un iota. De retour à Bombay après un mois d’absence, il n’a pas reconnu les abords immédiats de sa maison. Le paysage urbain est en mouvement perpétuel.
    Il est primordial, selon lui, d’assurer la continuité entre le passé et le présent, d’où sa participation active à plusieurs initiatives visant à préserver et à ressusciter les quartiers historiques de Bombay. « Nous réfléchissons aux moteurs contemporains susceptibles de revivifier ces endroits. Un centre artistique du côté de Kala Ghoda ; un complexe bancaire près du Fort ; le tourisme autour de l’hôtel Taj… » Il est donc en partie responsable de l’une des plus belles soirées qu’il m’ait été donné de vivre à Bombay : un concert de chœurs hindoustanis devant le bassin sacré de Banganga, datant du XII e siècle et restauré par l’institut de Rahul grâce aux fonds apportés par une banque internationale. Dès que je sors à la fin du concert, cependant, je dois me boucher le nez à cause des remugles émanant des slums qui s’étalent autour de Banganga. La beauté est aux riches : deux banques internationales ont financé, qui la rénovation de Banganga, qui le concert, et c’était magnifique parce qu’on ne risquait pas d’y côtoyer des miséreux dépenaillés ou des gamins morveux. J’ai observé la même chose à Paris, ville superbe depuis qu’on en a chassé les pauvres pour les cantonner dans les cités de banlieue. Et vécu une expérience inverse à New York qui, lorsque j’y suis arrivé en 1977, était une ville comme il y en a tant aux États-Unis, un orphelinat à ciel ouvert, un gigantesque hospice. Bombay réunit ces deux aspects ; le beau et le laid s’y disputent le moindre pouce de terrain, s’affrontent dans une lutte à mort pour la victoire décisive.
    Quand je me mets à la fenêtre de mon bureau, le matin, c’est toujours le même spectacle : des gens debout ou accroupis se soulagent sur les rochers face à la mer. Deux fois par jour, à marée basse, une puanteur épouvantable monte de la grève et envahit les appartements à quatre cent mille euros qui se dressent à l’est. Prahlad Kakkar, un réalisateur de films publicitaires, a tourné un film intitulé Bumbay {94} sur la défécation dans la mégalopole. Utilisant des caméras cachées, il a filmé en vidéo des gens occupés à faire leurs besoins dans les lieux d’aisances de tout type disséminés sur l’île. Son court-métrage ne révèle cependant qu’une partie de la vérité, m’explique-t-il. « La moitié des habitants de la ville n’ayant pas de toilettes, ils chient dehors. Ça représente cinq millions de personnes. En admettant que chacun produise en moyenne une livre de merde par jour, on arrive à un total quotidien de deux millions et demi de kilos d’excréments. L’autre partie de l’histoire, le film ne la montre pas. Il n’y a pas un seul plan de femme en train de déféquer. Elles, elles sont obligées de faire ça entre deux heures et cinq heures du matin, parce que c’est le seul moment où elles sont un peu tranquilles. » Prahlad a ouvert cette lucarne sur le transit intestinal des Bombayites grâce à son chauffeur, qui dès qu’il l’avait déposé quelque part, où que ce soit, filait se soulager. Quand Prahlad regagnait la voiture, invariablement il devait attendre son chauffeur qui revenait à la hâte, en se rajustant. « Saab, il fallait que je chie », avançait-il en guise d’explication. Cet homme, Rasool Mian, connaissait tous les endroits de la ville propices à cette occupation. En éclaireur averti de l’appareil digestif, il avait depuis longtemps repéré les meilleurs coins.
    Il y a quelque temps, la Banque mondiale a dépêché un groupe d’experts pour résoudre la crise sanitaire de

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