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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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Bombay. Les bénéficiaires des projets subventionnés par cet organisme ne sont pas des pauvres mais des « clients », selon le jargon des documents officiels. En l’occurrence, le client n’était autre que l’État du Maharashtra. Sur la foi du rapport de ses experts, la Banque mondiale a proposé de faire édifier cent mille toilettes publiques. Une solution absurde. Je sais à quoi ressemblent les latrines des slums et je n’en ai jamais vu qui servent encore à l’usage auquel elles étaient destinées : les gens se soulagent autour parce que les fosses sont bouchées depuis des mois, voire des années. Installer cent mille toilettes publiques revient à multiplier d’autant le problème. L’esprit civique des Indiens n’est pas exactement du même ordre que celui des Scandinaves, mettons. La limite des lieux qu’ils veillent à tenir propres s’arrête où finit l’espace privé. Les appartements de l’immeuble dans lequel j’habite sont impeccables, à l’intérieur ; tous les jours, deux fois par jour, même, ils sont nettoyés, astiqués. En revanche les parties communes – les couloirs, les escaliers, le hall d’entrée, les abords – portent les traces des crachats de bétel ; le sol est jonché de cochonneries qui s’écrasent mollement sous le pied, de sacs en plastique, de saletés d’origine humaine ou animale. Cela vaut pour tout Bombay, pour les quartiers pauvres comme pour les quartiers riches.
    Unanimement dénoncé par les Britanniques et les nationalistes du RSS, ce manque de civisme est une tare nationale spécifiquement indienne. On le voit bien à Panchratna, le bastion du commerce des diamants, où la propreté éblouissante des espaces de travail jure avec l’aspect immonde des parties communes. Du rez-de-chaussée au sixième étage, les propriétaires des bureaux ont cessé de payer les factures du système central de climatisation parce qu’ils les trouvaient exorbitantes (jusqu’à cinquante lakhs, dans certains cas). Le service a donc été supprimé. Ceux qui disposent de locaux avec des fenêtres ont branché des climatiseurs dessus et s’en trouvent très bien, mais ceux qui occupent des pièces aveugles ont dû bricoler des systèmes à deux sorties : l’air aspiré à l’extérieur est refoulé dans les couloirs. Circuler dans ces derniers est affreusement pénible à cause des jets d’air chaud et vicié rejeté dans l’espace confiné. Le temps que l’ascenseur arrive, vous êtes en nage et vous avez perdu plusieurs kilos. Qui plus est, tous ces tuyaux brûlants qui serpentent sous les plafonds, entre les fils électriques, constituent un risque d’incendie bien réel. Afin d’obtenir qu’on les retire, mon oncle qui possède un bureau à Panchratna a menacé de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui. Ce n’est jamais chose facile, à Bombay, d’engager les travaux de rénovation d’un immeuble ; il faut un apport de fonds collectif pour lancer cette opération dont les bénéfices devront être répartis – dilués – entre trop d’individus.
    Le gouvernement s’avère impuissant à améliorer les conditions de vie matérielle de la ville, mais il a les moyens de la rebaptiser. La manie de changer les noms des rues, des places, fait des ravages à Bombay. Chaque mois la mairie examine cinquante propositions dans ce sens. Entre le mois d’avril 1996 et le mois d’août suivant, elle en a approuvé cent vingt-trois. La commission municipale chargée des voies publiques consacre quatre-vingt-dix pour cent de son temps à cette activité, rétribuée à hauteur du service rendu par des personnalités locales reconnaissantes d’avoir une rue ou un chowk au nom d’un de leurs chers disparus. La pratique qui consiste à soudoyer des fonctionnaires pour honorer ses aïeux peut paraître perverse, mais les pères, les chefs, les protecteurs qui attendent toujours d’avoir leurs patronymes sur une plaque de rue sont légion. Au point que la ville n’a pas suffisamment de rues pour satisfaire toutes les demandes. Par chance, les édiles se sont aperçus que deux rues qui se croisent forment un carrefour. Pour peu que ces intersections, ou chowks, soient assez bien placées pour attirer des temples et des restos iraniens, il est légitime de leur attribuer un nom. Comment, par exemple, commémorer l’habitude de Shankar-Jaikishen, célèbre duo de compositeurs de musique de films, d’aller tous les matins prendre un

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