Bombay, Maximum City
cathartique, ce point final sensationnel ferait un tabac : imaginez qu’un beau matin, à la veille de son départ à la retraite, le célèbre inspecteur se rend d’un pas guilleret au commissariat central, défait sa braguette et agite son pénis face au bâtiment. De l’autre main il tient un porte-voix : « Va te faire foutre, Mhatre, avec le crore {96} que t’a filé Shakeel. Va te faire foutre, Shaïkh, avec les trente lakhs d’Abu Salem. Va te faire foutre, Gonsalves, avec les dix lakhs et l’appart payés par Rajan. Va te faire foutre, Chaturvedi, avec tes trois pouffiasses choisies par Dawood. Allez vous faire foutre, messieurs ! » Arrivé au bout de sa tirade, il se met à pisser. Les litres de café qu’il a ingurgités dans la matinée se transforment en jet puissant qu’il lâche au beau milieu de la place, au beau milieu du cercle de plus en plus nombreux formé par ses subalternes, des passants, des journalistes, des photographes. Puis, à l’instant où ses supérieurs en émoi sortent enfin du commissariat, l’inspecteur se rajuste, se cure les dents et, leur tournant le dos, s’éloigne sous le soleil radieux.
AJAY LAL : LES ATTENTATS À LA BOMBE
ET LA GUERRE DES GANGS
L’enquête diligente qu’il a conduite sur les attentats à la bombe de 1993 a fait connaître Ajay du grand public. Je l’ai rencontré chez mon ami Vidhu Vinod Chopra, un soir où il l’avait invité à dîner avec sa femme, Ritu. Réalisateur de cinéma, Vinod qui est depuis longtemps lié avec Ajay voulait lui demander des conseils à propos du scénario de Mission Kashmir, en particulier pour une scène portant sur l’interrogatoire d’un militant par un inspecteur de police. Ajay Lal a une allure de boxeur intelligent. Sa coupe de cheveux très courte lui donne l’air plus militaire que policier, il a une fossette au menton et c’est un champion d’athlétisme. À la différence des autres flics que je connais, il est subtil et raffiné, à l’aise dans la conversation. Il pourrait siéger dans un conseil d’administration – ou se lancer dans le cinéma et crever l’écran, car il est vraiment beau gosse. Smita Thackeray, belle-fille de Bal Thackeray, l’a relancé jusque chez lui, au téléphone.
« Ajay plaît aux femmes », soupire Ritu.
Très décontracté, Ajay nous expose dans le salon de Vinod les méthodes de l’interrogatoire policier. Il faut d’abord savoir que l’exercice ne se déroule pas toujours dans les locaux de la police. Les personnes interpellées lors de l’enquête sur les attentats de 1993 ont été entendues dans l’enceinte de la force de réserve spéciale. Par souci de discrétion, il lui est également arrivé de procéder à des interrogatoires dans une voiture en marche, aux vitres fumées, où, assis sur le siège avant à côté du chauffeur, il bombardait le suspect de questions pendant que ses hommes utilisaient la manière forte pour le convaincre de parler.
Quand Ajay a le temps, il prive le suspect de sommeil pendant une semaine. Il est assez peu courant, cependant, qu’ils jouissent l’un et l’autre d’un aussi long répit, et force lui est de se rabattre sur des techniques plus rapides. L’une, très usitée, consiste à dénuder les deux extrémités d’un fil de téléphone à l’ancienne mode ; on en applique une sur un bras ou sur les parties génitales du prévenu et on relie l’autre à une dynamo portative capable de produire un courant de haut voltage. Dans une variante plus dramatique, le prévenu est emmené dans une crique tranquille et lesté d’une lourde pierre ficelée à ses jambes, après quoi un flic le prend sous les bras par-derrière et le balance à la flotte, où la pierre l’entraîne vers le fond. Seul le flic a le pouvoir de l’empêcher de sombrer ; il est son sauveur, son dernier espoir. Le manège se renouvelle à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le suspect, hoquetant et en larmes, se retrouve enfin au sec et crache à Ajay tout ce qu’il veut savoir.
« Il n’y a pas plus efficace que la peur de mourir. Pour les attentats à la bombe, je me suis contenté d’emmener quelques-uns de ces salopards au parc national Bolivari et de leur tirer dessus pour qu’ils entendent les balles siffler. » La violence ordinaire se révélant néanmoins insuffisante à convaincre un certain nombre des gens qu’il appréhende, il lui faut recourir à des tactiques spéciales. « Les types qui n’ont pas
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