Bonaparte
dépouilla des marques distinctives de son rang. Buonaparte apparut insensible à l’affront, ou du moins il eut trop de fierté pour témoigner qu’il en fut affecté. »
Le cadet prend sa revanche au cours d’un hiver particulièrement rigoureux. Une épaisse couche de neige couvre la cour de récréation et empêche même d’y jouer. Les élèves doivent se contenter de faire les cent pas dans une des pièces de l’école. Un jour Napoleone explique à ses camarades « qu’ils s’amuseraient bien autrement, s’ils voulaient avec des pelles se frayer dans la grande cour différents passages au milieu des neiges, faire des ouvrages à corne, creuser des tranchées et élever des parapets. »
— Le premier travail fini, nous pourrons, déclare-t-il, nous diviser en pelotons, faire une espèce de siège et, comme l’inventeur de ce nouveau plaisir, je me charge de diriger les attaques.
« La troupe joyeuse accueillit ce projet avec enthousiasme, racontera l’un des élèves ; il fut exécuté, et cette petite guerre simulée dura l’espace de quinze jours ; elle ne cessa que lorsque des graviers ou de petites pierres s’étant mêlés à la neige dont on se servait pour faire des boules, il en résulta que plusieurs pensionnaires, soit assiégeants, soit assiégés, furent assez grièvement blessés. Je me rappelle même que je fus un des élèves les plus maltraités par cette mitraille. »
Ces lignes sont de Bourrienne, qui sera un jour le secrétaire du général Bonaparte, puis du Premier Consul. « Il y avait entre nous, racontera-t-il, une de ces sympathies du coeur qui s’établissent vite. » Pierre-François, fils du baron Laugier de Bellecour faillit devenir, lui aussi, son ami. C’est un fort joli garçon, trop joli même, et certains « grands » le trouvent à leur goût. Il devient bientôt l’une des « nymphes » les plus prisées de l’école. Nous le savons par les Souvenirs d’un cadet de Brienne, le vice était, paraît-il, l’apanage de toutes les maisons d’éducation de l’époque : « outre les commodités, où l’on trouvait, malgré la surveillance et les précautions des Minimes, le moyen de se réunir pour se livrer à ces infâmes plaisirs, on trouvait encore le moyen de se les procurer sous les tables d’études et de jeux. »
Lorsque Buonaparte découvre la dépravation de Laugier, il lui déclare :
— Vous avez des liaisons que je n’approuve pas. J’aimais vos moeurs pures. Vos nouveaux amis vous perdent. Choisissez donc entre eux et moi.
Pierre-François proteste : ce sont des médisances ! Le jeune Corse le croit et lui demande presque pardon de l’avoir injustement soupçonné.
— Je suis toujours le même, lui déclare-t-il, et je vous considère comme mon ami le plus cher.
Napoleone se rend bientôt compte qu’il ne s’était pas trompé. Il se taira durant plusieurs années. Mais plus tard, en arrivant à l’École militaire de Paris, le cadet Buonaparte dira brutalement à Laugier :
— Monsieur, vous avez méprisé mes avis. C’était renoncer à mon amitié. Ne me parlez plus jamais.
Son plus cher désir est d’apprendre correctement le français afin que cessent les moqueries dont il est l’objet. Son professeur – le sous-principal Dupuis – obtient assez rapidement des progrès considérables – sauf en orthographe. Il est vrai que l’on avait bien du mal à s’en apercevoir, l’écriture de l’arrière-cadet ayant été, dès le début de ses études, parfaitement illisible. « Ses maîtres ne pouvaient pas arriver à lire ses compositions, nous rapportera son camarade des Mazis, et lui-même éprouvait des difficultés à se relire. Son écriture – négligence devenue habitude – paraîtra d’ailleurs de plus en plus indéchiffrable. » Bien plus tard, sous l’Empire, un homme déjà âgé se présenta à Saint-Cloud et parvint à obtenir une audience particulière. Napoléon ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche ; déjà les questions pouvaient :
— Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?
— Sire, bredouilla le visiteur, Sire, c’est moi, oui c’est moi qui ai eu l’honneur, oui l’honneur, de donner à Votre Majesté, à Brienne, pendant quinze mois, des leçons d’écriture...
L’Empereur l’interrompra en éclatant de rire :
— Ah ! c’est vous ? C’est vous ! Eh bien, il n’y a pas de quoi s’en vanter... Le bel élève, ma foi, que vous avez dressé là !... Je vous
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