Bonaparte
boursiers et les élèves payants, « le roi voulant donner aux enfants de la noblesse les précieux avantages de l’instruction publique, entendant les mêler avec les enfants des autres classes, ployer leur caractère, étouffer l’orgueil que trop souvent ils confondent avec l’élévation, leur apprendre à considérer d’un point de vue plus juste tous les ordres de la société ». Les élèves se lèvent à six heures et se couchent à dix. Une assez large part est donnée à l’étude des fortifications, aux cours d’escrime, de danse – et même aux « exercices de maintien ».
Le jeune Napoleone est placé en classe de septième. Son entourage le déconcerte et il a toujours le sentiment d’être un étranger. Ses condisciples appartiennent à la noblesse du royaume et sont plus prompts encore que les petits bourgeois d’Autun à se moquer et à s’esclaffer devant ce sauvage silencieux. « Sombre et même farouche, a raconté l’un de ses camarades, renfermé presque toujours en lui-même, on eût dit qu’étant sorti tout récemment d’une forêt et s’étant soustrait jusqu’alors aux regards de ses semblables, il éprouvait pour la première fois un sentiment de surprise et de méfiance. » Aigri par les moqueries, sombre et sévère, « d’un commerce difficile », irascible, d’une sensibilité à fleur de peau, jaloux de son indépendance, Napoleone n’aime guère que l’on vienne troubler sa tranquillité. Le Principal – le Père Berton – a mis à sa disposition un jardinet et il vient rêver, seul, dans la petite tonnelle qu’il s’est aménagée au milieu des chèvrefeuilles. Là, il se trouve loin des quolibets, des éternelles plaisanteries des élèves pour qui le nom de Corse est presque une injure. À ceux qui le blessent ainsi, il crie qu’il les déteste. À Bourrienne, l’un des rares avec lesquels il se livre, il répète :
— Je ferai tout le mal que je pourrai à tes Français !
Napoléon contera bien plus tard – à Sainte-Hélène – qu’un jour d’hiver, à son grand étonnement, il trouve son pot à eau gelé. Immédiatement il fronce les sourcils et crie.
Un éclat de rire lui répond et les moqueries de fuser. Le surveillant survient :
— Pourquoi vous moquez-vous de Monsieur ? Il est né dans un pays où il n’y a pas de glace, il n’en a jamais vu !...
Il est assurément l’élève le plus orgueilleux de l’école, peut-être parce que ses camarades dont les parents portent des titres ronflants regardent avec condescendance ce fils de petit hobereau corse. Voulant le punir pour on ne sait quelle faute, un « maître de quartier » condamne l’enfant à porter un habit de bure – une des punitions en vigueur à l’école – et à dîner à genoux à la porte du réfectoire. Sous les yeux de tous, Napoleone entre dans la pièce. Il est pâle, tendu, crispé, les yeux fixes.
— À genoux, monsieur.
Il est alors pris « d’un vomissement subit et d’une violente attaque de nerfs ». Il trépigne en hurlant :
— Je dînerai debout, Monsieur, et non à genoux. Dans ma famille, on ne s’agenouille que devant Dieu !
Le surveillant veut passer outre et contraindre l’enfant par la force, Napoleone se roule alors par terre en hurlant à travers ses sanglots :
— N’est-ce pas, maman ? Devant Dieu ! Devant Dieu !
Il faut la venue du Supérieur pour mettre fin à la scène et arracher le cadet à son supplice.
Pour la fête du roi, en 1782, les pensionnaires ont monté : La Mort de César. Le cadet Napoleone est officier de jour lorsqu’un autre élève – à qui est dévolu le rôle de sergent de poste – vient l’avertir que la femme du concierge se présentait sans carte d’invitation à l’entrée de la salle et « faisait du bruit, dans l’espérance de passer outre ». Napoleone lance alors d’une voix impérieuse :
— Qu’on éloigne cette femme qui apporte ici la licence des camps !
Afin d’habituer les élèves à la hiérarchie militaire, les Pères ont divisé les enfants en bataillons et en compagnies, dont les chefs sont désignés parmi les pensionnaires. Buonaparte reçoit le rang de capitaine. « Or, nous rapporte un condisciple de Napoleone, un conseil de guerre, établi selon les règlements, déclara que Buonaparte était indigne de commander ses camarades dont il dédaignait la bienveillance. Après avoir lu le jugement qui le dégradait et le rejetait au dernier rang du bataillon, on le
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