Bonaparte
en Terre Sainte !
Il est à peu près certain que, le 17 avril, Bonaparte ne manqua pas l’occasion de faire l’ascension du mont Thabor que Nabuchodonosor avait gravi et où le Christ s’était transfiguré. Dans la senteur des térébinthes et des cyprès, il a dû monter péniblement le mont sacré – le Mont des Taureaux, disent les Arabes – se piquant les jambes aux taillis, faisant rouler les pierres ou enfonçant ses pas dans une terre ocre et noire, sèche comme de la cendre... Mais quelle récompense arrivé au sommet ! En face de lui, il voit les monts sombres du Liban et les montagnes bleutées de Syrie, tandis qu’à perte de vue s’étalent les vallonnements de l’actuelle Jordanie sur laquelle souffle l’étouffant vent du sud, né au coeur du désert du Nêguev...
Le 18 avril, Bonaparte est de retour devant Saint-Jean-d’Acre, où le siège interminable et les attaques continuent. Sans attendre l’artillerie, pourtant annoncée, Bonaparte ordonne l’offensive. La mine, nous dit Peyrusse, « n’eut d’autre effet que de faire crouler un coin de la tour... », ce qui n’empêcha pas « les grenadiers de monter hardiment la brèche, quoiqu’on vît clairement qu’il n’y avait pas d’issue ».
Enfin, l’artillerie débarque et est aussitôt mise en batterie sans guère plus de succès. Les assauts infructueux reprennent. À celui du 8 mai, nous raconte Bourrïenne, « on criait déjà victoire ; mais la brèche prise à revers par les Turcs, ne fut plus abordée qu’avec un peu d’incertitude, et les deux cents hommes entrés dans la ville, ne furent pas appuyés ».
— Oui, Bourrienne ! s’exclame Bonaparte le lendemain, je vois que cette misérable bicoque m’a coûté bien du monde, et pris bien du temps. Mais les choses sont trop avancées pour ne pas tenter encore un dernier effort. Si je réussis, comme je le crois, je trouverai dans la ville les trésors du pacha, et des armes pour trois cent mille hommes. Je soulève et j’arme toute la Syrie, qu’a tant indignée la férocité de Djezzar, dont vous avez vu que la population demandait à chaque assaut la chute à Dieu. Je marche sur Damas et Alep. Je grossis mon armée, en avançant dans le pays, de tous les mécontents ; j’annonce au peuple l’abolition de la servitude et des gouvernements tyranniques des pachas. J’arrive à Constantinople avec des masses armées. Je renverse l’empire turc. Je fonde dans l’Orient un nouvel et grand empire qui fixera ma place dans la postérité et, peut-être, retournerai-j e à Paris par Andrinople ou par Vienne, après avoir anéanti la maison d’Autriche !
Le lendemain, le rêve, une fois de plus, s’évanouit. Les grenadiers se jettent dans la brèche comme des forcenés, mais ils sont reçus par un feu meurtrier et l’ultime assaut – le huitième – échoue...
Bonaparte dès la veille avait pris sa décision :
— Si je ne réussis pas dans le dernier assaut que je veux tenter, je pars sur-le-champ, le temps me presse. Je ne serai point au Caire avant la mi-juin.
Devinant Aboukir, il avait prédit :
— Les vents sont alors favorables pour aller du Nord en Égypte. Constantinople enverra des troupes à Alexandrie et à Rosette, il faut que j’y sois. Quant à l’armée, qui viendra plus tard par terre, je ne la crains pas cette année. Je ferai tout détruire jusqu’à l’entrée du désert. Je rendrai impossible le passage d’une armée d’ici à deux ans.
Et, ce 11 mai, Bonaparte abandonne le siège ! À cause d’un misérable petit fort, il faut revenir en arrière ! Peut-être Kléber avait-il raison lorsqu’il soupirait :
— Nous attaquons à la turque une place défendue à l’européenne.
Ce n’est pas sans malaise qu’on lit la proclamation du 17 mai adressée aux survivants de la campagne de Palestine :
— Soldats, vous avez traversé le désert qui sépare l’Afrique de l’Asie avec plus de rapidité qu’une armée arabe. Les trente vaisseaux que vous avez vus arriver devant Acre, il y a douze jours, portaient l’armée qui devait assiéger Alexandrie ; mais, obligée d’accourir à Acre, elle y a fini ses destins ; une partie de ses drapeaux orneront votre entrée en Égypte. Enfin, après avoir avec une poignée d’hommes nourri la guerre pendant trois mois dans le coeur de la Syrie, pris quarante pièces de campagne, cinquante drapeaux, fait six mille prisonniers, rasé les fortifications de Gaza, Jaffa, Haïfa, Acre,
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