Bonaparte
réplique Bernadotte froidement.
— Une rébellion, s’exclamera Bonaparte quelques instants plus tard en racontant la scène à son secrétaire. Une rébellion, Bourrienne, concevez-vous cela ? Un tas d’imbéciles, des gens qui avocassent du matin au soir dans leurs taudis !
Le futur roi refuse toujours de « marcher ». Bonaparte n’obtient de lui qu’une chose : Bernadotte « n’entreprendra rien contre lui ».
— Oui, comme citoyen, je vous donne ma parole d’honneur de ne point agir.
— Qu’entendez-vous par là ?
— J’entends que je n’irai point dans les casernes et les lieux publics pour travailler l’esprit des soldats et du peuple mais si le Corps législatif et le Directoire me donnent l’ordre de les défendre et me confient le commandement de leur garde...
— Ah ! pour cela je suis bien tranquille, ils ne vous emploieront pas ; ils craignent plus votre ambition que la mienne ; moi, je suis certain de n’en avoir pas d’autre que celle de sauver la République.
Bonaparte n’aura guère plus de chance avec Gohier Le directeur, surpris par l’heure matinale que Joséphine a indiquée dans son billet, – un déjeuner à huit heures du matin ! – avait préféré déléguer sa femme. Celle-ci, en arrivant rue de la Victoire et en voyant l’afflux de plumets et de galons, comprend aussitôt la situation.
— Quoi ! s’exclame Bonaparte en l’accueillant, le président ne vient pas ?
— Non, général, il ne lui est pas possible...
Napoléon l’interrompt :
— Il faut absolument qu’il vienne. Écrivez, Madame, et je vais lui faire porter votre lettre.
— Je vais lui écrire, général, et j’ai des gens ici qui se chargeront de ma lettre.
Mme Gohier prend la plume et trace ces mots : « Tu as bien fait de ne pas venir, mon ami ; tout ce qui se passe ici m’annonce que l’invitation était un piège. Je ne tarderai pas à te rejoindre... »
Au tour de Joséphine d’essayer de convaincre la récalcitrante :
— Tout ce que vous voyez, Madame, doit vous faire pressentir ce qui doit infailliblement arriver. Je ne puis vous exprimer combien je suis désolée de ce que Gohier ne se soit pas rendu à mon invitation, concertée avec Bonaparte, qui désire que le Président du Directoire soit un des membres du gouvernement qu’il se propose d’établir. En lui envoyant ma lettre par mon fils, c’était assez marquer l’importance que j’y attachais.
— Je vais, Madame, aller le rejoindre, répond Mme Gohier, ma présence est de trop ici.
— Je ne vous retiendrai pas, poursuit Mme Bonaparte. En vous rendant auprès de votre mari, dites-lui qu’il réfléchisse bien et réfléchissez vous-même avec lui sur le voeu que j’ai été autorisée à vous manifester. Ce n’est pas son intérêt seulement, mais des intérêts qui lui sont plus chers encore que pourrait compromettre une opposition de sa part. L’influence que Sieyès et les siens vont avoir sur les événements qui se préparent dépend du parti que prendra le président. Employez, je vous en conjure, Madame, toute votre influence pour l’engager à venir.
Mais le ménage ne comprit pas où se trouvait ce matin-là son intérêt... et Gohier demeura au Luxembourg ! Il n’avait même pas été surpris par le départ, de grand matin, de la garde du Directoire qui, sous le prétexte de manoeuvres, quitta le Luxembourg au son des tambours et des trompettes... La troupe ne prit d’ailleurs nullement le chemin du champ de tir, mais celui des Tuileries.
Il est plus de huit heures et les décrets transférant les assemblées à Saint-Cloud, et nommant Bonaparte commandant en chef, ne sont pas encore arrivés rue de la Victoire. À plusieurs reprises, Napoléon a envoyé aux nouvelles. Les Pères conscrits se feraient-ils tirer l’oreille ? On sait simplement qu’affublés du déguisement indescriptible dont David possédait le secret, ils se trouvent en séance depuis une bonne heure !
Tout marchait cependant comme prévu : les députés convoqués pour sept heures avaient écouté le rapport de Cornet, président de la Commission des Inspecteurs et qui avait été dûment chapitré par Sieyès :
— Les symptômes les plus alarmants se manifestent depuis plusieurs jours..., la patrie est consumée et ceux qui échapperont à l’incendie verseront des pleurs amers, mais inutiles, sur les cendres qu’il aura laissées sur son passage. Vous pouvez, représentants du peuple, le prévenir encore ; un
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