Bonaparte
nous qui l’avons affermie par nos travaux et notre courage, nous ne voulons pas de gens plus patriotes que les braves mutilés au service de la République !
Tandis que Bottot se hâte de prendre le chemin du Luxembourg afin de mettre Barras au courant, Bonaparte fait lire aux troupes le décret, puis il lance beaucoup plus à son aise que devant l’Assemblée :
— Soldats, le décret extraordinaire du Conseil des Anciens est conforme aux articles 102 et 103 de l’acte constitutionnel. Il m’a remis le commandement de la ville et de l’armée. Je l’ai accepté pour seconder les mesures qu’il va prendre, et qui sont tout entières en faveur du peuple. La République est mal gouvernée depuis deux ans. Vous avez espéré que mon retour mettrait un terme à tant de maux ; vous l’avez célébré avec une union qui m’impose des obligations que je remplis : vous remplirez les vôtres et vous seconderez votre général avec l’énergie, la fermeté et la confiance que j’ai toujours vues en vous.
Un grand cri de Vive Bonaparte ! lui répond. Au loin, la foule regarde le spectacle. Le temps s’est réchauffé, le thermomètre marque 6° et un pâle soleil fait briller les ors des uniformes. Les Parisiens, à leur réveil ont pu lire sur les murs les affiches blanches posées par les soins de Roederer et de Regnault, au nom du département. C’est le procès du régime... En caractères gras ressortent ces mots : « Ils ont tant fait... » , puis, un peu plus bas : « Qu’il n’y a plus de constitution. »
Une autre affiche va droit au but : « Il ne faut pas qu’un homme si éminent par ses services reste plus longtemps étranger aux affaires. Qu’on ne nous parle plus de l’envoyer à l’ennemi ; la patrie lui défend de s’éloigner de Paris. Qu’il n’expose plus au loin une gloire que l’impuissance même du gouvernement ne peut que compromettre. Sa gloire, son existence, ces grandes propriétés nationales nous sont nécessaires dans l’intérieur. Braves soldats de la République, c’est de Paris que les savantes combinaisons de Bonaparte peuvent le plus sûrement vous conduire à la victoire, s’il faut encore vaincre ; Citoyens, c’est à Paris que Bonaparte doit être pour vous donner la paix. »
Napoléon a quitté les jardins et a installé son poste de commandement aux Tuileries même, dans le salon des Inspecteurs des Anciens. Entrent Gohier et Moulins, qui, en désespoir de cause, ont pris le parti de venir eux-mêmes aux nouvelles. Le futur Consul vient d’apprendre que Santerre – le fameux brasseur – pourrait bien « faire donner le faubourg ». Bonaparte se rue sur Moulins :
— Général, vous êtes parent de Santerre ?
— Je ne suis point le parent de Santerre, mais je suis son ami.
— On me prévient qu’il agite les habitants du faubourg Saint-Antoine et veut se mettre à leur tête. S’il fait un mouvement, je le fais fusiller.
— En auriez-vous le pouvoir, général ?... Au reste, Santerre n’est point un agitateur ; il ne marcherait qu’autant qu’il en recevrait l’ordre d’une autorité que vous-même, jusqu’à ce jour, vous n’aviez pas méconnue.
— Il n’y a plus de Directoire.
Gohier intervient avec colère :
— Il n’y a plus de Directoire ? Vous vous trompez, général, et vous savez que c’est chez son président que vous avez pris l’engagement de dîner aujourd’hui. Serait-ce pour mieux cacher des projets hostiles que vous avez accepté cette invitation, que vous en avez vous-même fixé le jour ?
— Mes projets ne sont point hostiles. La République est en péril, il faut la sauver... Je le veux !... Et ce n’est qu’avec des mesures énergiques que nous y parviendrons. Seiyès et Ducos donnent leur démission, Barras a envoyé la sienne ; abandonnés tous les deux à votre isolement, vous ne refuserez pas la vôtre !
Mais les deux Directeurs ne veulent pas encore renoncer à leur cinquième de trône :
— Tout se réglera demain à Saint-Cloud ! s’exclame Gohier.
Bonaparte pose sur lui un tel regard que, deux heures plus tard, Gohier enverra sa démission. « Moulins, qui n’avait jamais su pourquoi et comment il était entré au Directoire, nous rapporte Mme Reinhard, suivit l’exemple de celui derrière lequel il se rangeait toujours. »
Et Barras ?
En dépit du discours rapporté par Bottot, il ne se résoud pas encore à agir. Il demeure persuadé que Bonaparte n’osera le toucher et viendra le
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