Bonaparte
reconnaissance à Bonaparte et proclament « que lui, Murat, Lefebvre, Gardanne et autres généraux ont bien mérité de la patrie ».
Sur la proposition de l’avocat Chazal, ancien girondin – qui récite la leçon soufflée par Bonaparte et Sieyès – ce nouveau parlement-croupion vote avec une totale docilité le décret final :
« Le Corps législatif crée provisoirement une commission consulaire exécutive, composée des citoyens Sieyès, Roger Ducos, ex-Directeurs, et de Bonaparte, général, qui porteront les noms de consuls de la République. »
En dorant la pilule, on la leur ferait plus aisément avaler, aussi Chazal propose-t-il que les indemnités parlementaires continuent à être versées aux représentants pendant les vacances « forcées ». Proposition, on s’en doute, adoptée avec enthousiasme... Puis, après quelques discours destinés à meubler la séance, Lucien déclare avec fougue :
— Entendez le cri sublime de la postérité : si la liberté naquit dans le Jeu de Paume de Versailles, elle fut consolidée dans l’Orangerie de Saint-Cloud ; les constituants de 89 furent les pères de la Révolution, mais les législateurs de l’an VIII furent les pères et les pacificateurs de la patrie !
De l’autre côté de la porte, Bonaparte piaffe. Fort heureusement il ne reste plus qu’à faire entrer, au son d’une sonnerie de trompettes, les trois consuls qui viennent prêter serment de « fidélité inviolable à la souveraineté du peuple, à la République française une et indivisible, à l’égalité, à la liberté et au système représentatif ».
Un serment de plus... que, bien entendu, Bonaparte ne pourra pas tenir !
Gohier et Moulins ont été gardés à vue durant toute la journée par Moreau. Pas la moindre velléité de protestation n’est sortie du Luxembourg. Les deux Directeurs démissionnés ont simplement estimé que Moreau les avait par trop incommodés avec la fumée de sa pipe... Bernadotte, de son côté, n’a pas bougé.
— Le concevez-vous ? demandera Bonaparte à Bourrienne. J’ai appris aujourd’hui bien des intrigues mises en usage auprès de lui. Le croiriez-vous, il ne demandait rien moins que d’être nommé mon collègue dans le commandement ? Il parlait de monter à cheval, de venir avec les troupes qu’on lui donnerait à commander ; il voulait, disait-il, maintenir la Constitution... Il y a plus, on m’a assuré qu’il avait eu l’audace d’ajouter que s’il était nécessaire de me mettre hors-la-loi, on le trouverait, et qu’il y aurait des soldats capables d’exécuter le décret !
Encore à Saint-Cloud, sur un coin de table, le nouveau Consul trace quelques lignes commençant par ces mots : « Proclamation du général en chef Bonaparte, le 19 Brumaire onze heures du soir. Tous les partis sont venus à moi, m’ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et m’ont demandé mon appui ; j’ai refusé d’être l’homme d’un parti. »
À Paris dans les cafés, dans les théâtres, des ordonnances à cheval ont apporté aux Parisiens une déclaration rassurante établie par Fouché. On a interrompu les représentations et un acteur est venu lire cette proclamation aux spectateurs : « Les Conseils étaient réunis à Saint-Cloud pour délibérer sur les intérêts de la République et de la liberté, lorsque le général Bonaparte, étant entré au Conseil des Cinq-Cents pour dénoncer des manoeuvres contrerévolutionnaires, a failli périr victime d’un assassinat. Le génie de la République a sauvé ce général ; il revient avec son escorte. »
En roulant vers Paris avec « son escorte », Bonaparte dépasse les troupes qui, le ventre creux, regagnent leurs quartiers sous la pluie qui tombera presque toute la nuit. Les soldats chantent les anciens refrains révolutionnaires.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates à la lanterne
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates on les pendra.
La Révolution n’en est pas moins bien morte. En entrant dans la danse – au son des tambours –, les baïonnettes du général en chef, prédites par Mirabeau voici déjà plus de dix années, ont achevé le régime.
Le lit est fait pour Bonaparte.
XV
« NI BONNET ROUGE, NI TALON ROUGE ! »
II n’y a rien de si difficile à harnacher qu’un peuple qui a secoué son bât.
N APOLÉON .
Le lendemain, Paris se réveille sous le Consulat.
Le 20 brumaire se trouve être un décadi – le dimanche
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