Bonaparte
contre la liberté de ce conseil.
Un frémissement parcourt les rangs. Bonaparte sent que la chance commence à lui revenir.
— Au nom de ce peuple qui, depuis tant d’années est le jouet de ces misérables enfants de la terreur, poursuit Lucien, je confie aux guerriers le soin de délivrer la majorité de leurs représentants, afin que, délivrée des stylets par les baïonnettes, elle puisse délibérer sur le sort de la République. Général, et vous soldats, et vous tous citoyens, vous ne reconnaîtrez pour législateurs de la France que ceux qui vont se rendre auprès de moi ; quant à ceux qui resteront dans l’Orangerie, que la force les expulse ! Ces brigands ne sont plus les représentants du peuple, mais les représentants du poignard. Que ce titre leur reste, qu’il les suive partout !... et, lorsqu’ils oseront se montrer au peuple, que tous les doigts les désignent sous ce nom mérité de représentants du poignard ! Vive la République !
Cependant, malgré les cris de Vive Bonaparte ! qui suivent cette harangue, l’hésitation qui règne dans la troupe se poursuit. Tourner leurs armes contre la représentation nationale – même qualifiée de « représentants du Poignard » – les fait hésiter. D’autant plus que l’on peut voir plusieurs députés qui, des fenêtres, crient en désignant Bonaparte du doigt :
— A bas le dictateur ! Hors la loi !
« Mais il fallait, a expliqué Thibaudeau. retourné dans la salle des séances, un de ces orateurs prépondérants dont la voix soulève une assemblée et en dispose. Cet homme-là manquait dans le Conseil. Avec un décret de mise hors la loi, Augereau et Jourdan qui étaient là tout prêts, et Bernadotte qui attendait en secret l’événement, se seraient probablement prononcés et auraient pu entraîner les grenadiers de la garde des Conseils, qui n’avaient pas l’esprit de l’armée, et ébranler les autres groupes. L’issue de la journée ne dépendait donc que d’un décret en une ligne ou d’un coup de poignard. L’inaction et l’imprévoyance du Conseil furent d’autant plus inconcevables qu’il fut bientôt informé qu’on se disposait à le dissoudre par la force. Les représentants trouvèrent de la grandeur à attendre la mort sur leurs chaises curules, ou plutôt les baïonnettes qui devaient les en chasser. »
Les baïonnettes vont en effet être plantées sur les canons des fusils.
— Soldats, déclare Bonaparte, je vous ai menés à la victoire, puis-je compter sur vous ?
Des cris encore trop rares fusent çà et là :
— Oui ! Oui !... Vive le général !... Qu’ordonnez-vous ?
— Soldats, on avait lieu de croire que le Conseil des Cinq-Cents sauverait la patrie, au contraire, il se livre à des déchirements. Des agitateurs cherchent à le soulever contre moi ! Soldats, puis-je compter sur vous ?
— Oui ! Vive Bonaparte !
— Eh bien ! je vais les mettre à la raison. Depuis assez longtemps, la patrie est tourmentée, pillée, saccagée ; depuis assez longtemps ses défenseurs sont avilis, immolés !
À nouveau, les hommes crient :
— Vive Bonaparte !
— Ces braves que j’ai habillés, payés, entretenus au prix de nos victoires, dans quel état je les retrouve !
Et il poursuit, fréquemment interrompu par des : Vive Bonaparte ! :
— On dévore leurs subsistances ! On les livre sans défense au fer de l’ennemi ! Mais ce n’est pas assez de leur sang ! on veut encore celui de leurs familles ! Des factieux parlent de rétablir leur domination sanguinaire ! J’ai voulu leur parler, ils m’ont répondu par des poignards ! Il y a trois ans que les rois coalisés m’avaient mis hors la loi pour avoir vaincu leurs armées, et j’y serais aujourd’hui par quelques brouillons qui se prétendent plus amis de la liberté que ceux qui ont mille fois bravé la mort pour elle ! Ma fortune n’aurait-elle triomphé des plus redoutables armées que pour venir échouer contre une poignée de factieux ! Trois fois, vous le savez, j’ai sacrifié mes jours pour ma patrie ; mais le fer ennemi les a respectés : je viens de franchir des mers sans craindre de les exposer une quatrième fois à de nouveaux dangers ; et ces dangers je les trouve au sein d’un Sénat d’assassins !
Cette fois une immense clameur de Vive Bonaparte ! monte jusqu’aux Cinq-Cents qui répondent en hurlant :
— Vive la République ! Mourons pour la liberté ! Hors la loi le dictateur ! Vive la Constitution de l’an
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