Bonaparte
l’hôtel. Le lendemain, 21 octobre, le Corbeillard accoste à Paris, au port de Saint-Paul, vers cinq heures de l’après-midi. De « la maison flottante », reliée au quai par deux planches mises bout à bout et qui servent de passerelle, débarquent le Père Minime et les cinq jeunes élèves de Brienne. Ils passent le Pont-Marie et soupent chez un traiteur de la rue des Deux-Ponts : au Coq Hardi. De là, la petite troupe suit les quais. Napoleone achète un Gil Blas dans une boîte de bouquiniste et l’un de ses camarades – de Castries – paie l’emplette. Après une courte prière à l’église de Saint-Germain-des-Prés, il fait nuit lorsque le père Berton prend, sans doute par la rue de Grenelle, le chemin du Champ de Mars.
Le coeur battant, M. l’arrière-cadet découvre Paris.
Napoléon le dira à Sainte-Hélène : « La première nuit fut pénible. Le ton était différent. Les classes se trouvaient commandées par quatre officiers de Saint-Louis et huit sergents qui avaient le commandement haut et le ton militaire. »
Où logea le « cadet Buonaparte » ? Sans doute dans l’une des mansardes de la coupole dont les oeils-de-boeuf entourent l’horloge ? Marco de Saint-Hilaire l’a affirmé, précisant qu’il fallait monter cent soixante-seize marches pour atteindre la cellule du futur empereur. Il paraît que c’est une chose impossible : le nombre de marches à gravir pour parvenir aux mansardes n’est pas aussi grand. Peut-être a-t-il simplement mal compté ?...
Buonaparte allait demeurer là un an et une semaine.
Alexandre des Mazis a noté dans ses Cahiers ses impressions durant les années où il fut le compagnon de Napoléon à Paris, puis à Valence. Ces précieux souvenirs qui appartiennent au Père Antoine des Mazis, arrière-petit-fils d’Alexandre, n’avaient encore jamais été édités {5} . Le lendemain de son arrivée, Buonaparte, dans la cour de l’École militaire, voit des Mazis s’avancer vers lui. L’élève-officier Le Lieur, de Ville-sur-Acre, ancien condisciple du boursier Napoleone à Brienne, et qui venait d’être muté à l’École de Metz, avait recommandé à Alexandre le jeune Corse dont « le caractère original et les manières un peu étrangères » risquaient de surprendre professeurs et élèves.
« Il m’accueillit assez froidement, racontera Alexandre des Mazis, mais sans refuser mes avances ; nous fûmes placés dans la même division et le hasard fit qu’on le plaça à côté de moi dans la classe de mathématiques se destinant à la marine. » Buonaparte accueille, en effet, les avances de son nouveau camarade avec froideur. Pour que ce sauvageon de quinze ans consente à s’amadouer, il faudra que s’écoulent plusieurs mois et que se déroule un incident rapporté par des Mazis dans ses Cahiers.
Un ancien, nommé Champeaux – il mourra des suites d’une blessure reçue à Marengo –, a été chargé d’enseigner le maniement des armes à ses jeunes camarades. Dans ce domaine Buonaparte est un soldat déplorable : il pense visiblement à autre chose. Champeaux, un jour que son élève témoigne d’une distraction excessive, donne sur les doigts du futur empereur un coup de baguette de fusil. Il fait un saut en arrière : Napoleone lui a envoyé son fusil à la tête. Au lieu d’expédier le jeune homme au cachot pour lui former le caractère, le capitaine instructeur se contente de demander à des Mazis s’il veut bien essayer de civiliser « ce dangereux insulaire ». Et c’est ainsi que commence leur amitié. À dire vrai, les deux jeunes gens sont infiniment plus occupés à échanger leurs rêveries qu’à découvrir les charmes cachés du maniement d’armes... Aussi, lorsque les jours d’exercices collectifs le chef du bataillon – M. de Lannoy – commande le « reposez-armes », voit-on au second rang un seul fusil demeurer ridiculement en l’air.
C’est Napoleone de Buonaparte qui rêve !
Des Mazis, qui se trouve à sa droite, se hâte de donner un coup de coude au distrait... Le fusil récalcitrant retombe alors avec un bruit isolé et peu militaire qui perce M. de Lannoy jusqu’à l’âme...
— Monsieur Buonaparte, s’écrie alors le malheureux instructeur, réveillez-vous donc, vous faites toujours manquer l’exercice !
« L’exercice qui lui plaisait le plus, rapportera encore Alexandre des Mazis, était celui des armes – entendez de l’escrime. Nous avions un excellent maître. Toutes les
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