Bonaparte
conseiller d’État à Milan, car nous sommes tous pieds nus... » Le 12 juin, il marque la journée d’une pierre blanche : Desaix arrive de Toulon ! Le Premier consul s’enferme avec lui durant trois heures. Et, comme Bourrienne s’étonne, Bonaparte répond :
— Oui, j’ai été longtemps avec lui, mais vous savez que j’en fais le plus grand cas. Aussitôt mon retour à Paris, je le fais ministre de la Guerre : il sera toujours mon second : je le ferais prince si je pouvais ; je lui trouve un caractère antique.
Desaix lui raconte son odyssée. En dépit du sauf-conduit donné par le commandant anglais devant Alexandrie, l’amiral Keith l’avait arrêté à la hauteur de Gênes et insulté jusqu’au moment où le prisonnier lui avait déclaré :
— Délivrez-moi de votre présence ; mais faites donner de la paille aux blessés qui sont avec moi ; les Turcs et les nègres avec qui j’ai traité n’insultaient pas les gens dans le malheur !
Dès le lendemain, Bonaparte confie à Desaix le commandement de deux divisions.
La situation est bonne. Brescia, Plaisance, Crémone, Pavie, sont occupées. L’armée de Mêlas, qui s’est enfermée dans Alexandrie, sera obligée de combattre face à la Lombardie, le dos vers les montagnes. Le 12, Napoléon décide de faire occuper par Lannes la Stradella, placée entre Alexandrie et Plaisance qui barre l’accès – à la fois – de Plaisance et de Parme. En tenant ferme ce défilé resserré, on coupera les communications de l’ennemi.
Le lendemain, à 10 heures, Bonaparte arrive à San Juliano, et aperçoit, au milieu de la plaine s’étendant devant Alexandrie, le petit village de Marengo, situé entre la route de Tortona, bordée de mûriers, et un ruisseau : le Fontanone. Bonaparte paraît perplexe. Sous une pluie d’orage, il monte au sommet de la tour de San Juliano pour observer la campagne. Là, il se rend compte que Marengo, le village qui va donner son nom, le lendemain, à la bataille, constitue la clef de la situation. Après s’être montré surpris de voir que l’ennemi n’a pas mieux défendu la place, il redescend de son observatoire, fait allumer un feu de fagots pour se sécher et va passer la nuit à Torre di Galifolo.
Avant de se mettre au lit, il envoie un officier d’état-major reconnaître si les Autrichiens n’ont pas jeté un pont sur la Bormida qui, avant de rejoindre le Tanaro, en aval d’Alexandrie, multiplie ses méandres entre la ville et Marengo. L’aide de camp revient peu après annoncer qu’il n’existe aucun passage. Bonaparte s’endort, tranquillisé. Cependant, il a trop élargi ses forces : Desaix est parti vers Novi et a repassé le Pô...
Napoléon est réveillé au matin par le canon : les Autrichiens sont sortis d’Alexandrie, ont jeté deux ponts sur la Bormida et sont en train de déboucher dans la plaine !
La colère de Bonaparte est affreuse, il accuse le malheureux officier de lâcheté : sans aucun doute, la peur l’a empêché de s’avancer suffisamment pour remplir sa mission et surprendre les préparatifs de l’ennemi ! En grande hâte, Napoléon envoie ces lignes à Desaix : « Je croyais attaquer l’ennemi ; il m’a prévenu ; revenez, au nom de Dieu, si vous le pouvez encore ».
Soucieux, anxieux même, il a sauté à cheval. Assurément, la situation n’est guère brillante. Et, ce 14 juin, il va jouer toute sa fortune ! Il ne possède que quinze canons tandis que, par ces deux maudits ponts, Mêlas a pu faire passer une centaine de pièces ! Rapidement la bataille fait rage. L’artillerie autrichienne – sept fois plus forte que celle de Bonaparte – tonne et fait de sanglantes trouées. Bientôt l’infanterie française se trouve dans l’obligation de battre en retraite sous la poussée de quarante mille Autrichiens. Les cartouches viennent à manquer, « lorsque, nous rapporte le brave Coignet, la gardé consulaire arriva avec huit cents hommes chargés de cartouches dans leurs sarraux de toile ; ils passèrent derrière les rangs et nous donnèrent des cartouches. Cela nous sauva la vie. »
Le feu reprend avec intensité, mais de nouveau sans munitions, les bataillons fléchissent. Décimée, l’armée française est derechef contrainte de rétrograder devant les Impériaux. Du haut du clocher de San Giuliano, Bonaparte, affectant une tranquillité qui n’est pas dans son coeur, fait donner la Garde des consuls. Les grenadiers à cheval, en brillant uniforme,
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