Bonaparte
Général, voilà une belle victoire ! Vous savez ce que vous me disiez l’autre jour du plaisir que vous auriez à revoir Paris après un grand coup porté en Italie ? Vous devez être satisfait ?
— Oui, Bourrienne, je suis satisfait ; mais Desaix !... Ah ! que la journée eût été belle si ce soir j’avais pu l’embrasser sur le champ de bataille !
Le même soir, il écrit aux Consuls : « Je serai bientôt à Paris. Je ne peux pas vous en dire davantage ; je suis dans la plus profonde douleur de la mort de l’homme que j’aimais et que j’estimais le plus. »
Il donnera l’ordre de faire inhumer le corps de son ami dans la chapelle de l’hospice du Grand-Saint-Bernard. Le monument, un bas-relief, sera prêt en 1805 et Bonaparte – étrange idée – fera envoyer aux Bernardins une truelle, un mortier et un tablier de franc-maçon pour sceller la dalle funéraire {29} .
Le lendemain matin à quatre heures, des parlementaires autrichiens sortent d’Alexandrie et viennent demander l’armistice. Bonaparte le leur accorde à la condition d’évacuer immédiatement Mantoue, tout le Piémont et la Lombardie. Il le précise : les places devront être livrées avec leur artillerie. Le 18, Bonaparte écrit de Milan à ses deux collègues : « Aujourd’hui, malgré ce qu’en pourront dire nos athées de Paris, je vais en grande cérémonie au Te Deum que l’on chante à la métropole de Milan... J’espère, avait-il ajouté, que le peuple français sera content de son armée. »
Paris sera d’autant plus « content » que l’opinion publique revenait de loin.
Les bruits les plus pessimistes couraient en effet dans la capitale. Des nouvelles circulaient : on parlait d’une « terrible défaite », de la mort « d’un grand chef ». Le gouvernement semblait atterré. Mme Danjou écrivait à d’Avaray, le compagnon de Louis XVIII, pour annoncer que consuls et ministres s’étaient réunis afin de savoir qui remplacerait Bonaparte s’il était mort ou vaincu, « ce qui paraît très probable et synonyme ». On avait avancé les noms de La Fayette et de Pichegru. « Quelques voix s’étaient portées sur le duc d’Orléans, mais un cri d’opposition s’était élevé et le général Lefebvre avait mis la main sur son sabre. » D’autres parlaient de Carnot, seul capable, disait-on, « d’arracher la République au péril où la placent les succès de l’ennemi, sans lui faire, comme Bonaparte, acheter ce service au prix de sa liberté ».
Les Consuls se trouvaient « dans la plus grande anxiété » et se demandaient quel visage ils feraient le 2 messidor – 22 juin – lors de la réception bi-mensuelle du corps diplomatique. Fort heureusement, ce même jour à onze heures un courrier, puis un second, enfin un troisième, annonçaient l’éclatante victoire de Marengo, que le Moniteur écrira d’ailleurs Maringo.
Ce fut du délire.
« Dès midi, nous dit un rapport de police, au premier coup de canon, les ouvriers ont pour la plupart quitté leurs ateliers, se sont rassemblés dans les rues et sur les places pour écouter avec avidité les nouvelles. Ils se groupaient en nombre autour des placards que le préfet de police avait, par ordre du gouvernement, fait poser dans la ville et surtout dans les faubourgs. Aux cris de Vive la République ! Vive Bonaparte ! succédaient les propos les plus grivois, les saillies les plus gaies. Dans les faubourgs, on a été frappé de la franchise avec laquelle on a parlé du nombre d’hommes que nous avons perdus ou qui ont été faits prisonniers.
« — Ce n’est plus comme autrefois, disait-on dans la rue Victor ; au moins, à présent, nous savons tout.
« Les cabarets ont été pleins jusqu’à onze heures du soir, et il ne s’y est pas bu un verre de vin qui ne fût pour la République, le Premier consul et les armées. »
Durant deux jours, s’il faut en croire Miot de Melito,
« Paris fut exactement dans l’ivresse ».
Le 25 juin, Bonaparte quitte Milan, le 26, il est à Turin, le 27, il traverse le Mont-Cenis et, déjà le 28, atteint Lyon, où il pose la première pierre d’une des maisons de la place Bellecour, rasée sur l’ordre de la Convention. Le 30 juin, en traversant la Bourgogne avec Bourrienne, il déclare à son secrétaire :
— Allons ! allons ! encore quelques grands événements comme cette campagne, et je pourrai passer à la postérité.
— Il me semble, réplique Bourrienne, que vous en avez déjà
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