Bonaparte
sur l’émigration, mais qu’il sera inexorable pour ceux qui ont été les ennemis de la patrie. » Les bureaux sont assaillis de demandes, et Joséphine, sollicitée de tous les côtés par d’anciennes relations, supplie son mari de mettre fin à cette situation.
Enfin, après avoir longtemps hésité – il ne pouvait approuver les Français d’avoir combattu dans les rangs ennemis – Bonaparte, suivant les conseils de Fouché qui se réserve le droit de contrôle, rouvre les frontières aux émigrés. L’arrêté décide de faire des « éliminations par catégories ».
Désormais, pourront regagner la France « les parents ou héritiers d’émigrés, les femmes ayant suivi leur mari, les artisans et cultivateurs, les gens à gages ». Évidemment, il n’est point question de rendre leurs biens aux rentrants : les acquéreurs des biens nationaux peuvent dormir tranquilles. En attendant l’amnistie du 26 avril 1802, qui permettra le retour de tous les émigrés qui le désirent, plus de cinquante mille personnes peuvent regagner la France. Tous ceux qui reviennent d’exil racontent leurs craintes, leur terreur même en approchant du premier poste français. De quelle manière les républicains vont-ils accueillir les ci-devant ? Mme de Boigne, qui regagnera la France un peu plus tard, rapportera comment, le coeur battant, elle avait pénétré dans le bureau de la douane. Elle s’était tenue debout devant l’employé qui, lentement, traçait son signalement. Le chef de bureau s’était avancé :
— Mettez donc « jolie comme un ange », ce sera plus court et ne fatiguera pas tant Madame !
Brusquement, Mme de Boigne s’était sentie de nouveau chez elle.
Le « monde ordonné » commence à renaître. Les rentrants se regardent timidement « comme des gens ayant échappé à un naufrage et se retrouvant dans une île déserte ». Peu à peu l’attitude du Premier consul leur rendra le goût de vivre. Bonaparte ne considère nullement, comme l’affirment certains de ses ennemis, que la France a commencé le 19 Brumaire.
Le 22 septembre, à l’occasion de la fête de la République, le consul fait transporter les restes de Turenne aux Invalides. Le maréchal de Louis XIV, inhumé à Saint-Denis, avait eu son tombeau saccagé pendant la Révolution, mais ses restes, par ordre du Directoire, avaient été sauvés et enterrés dans le jardin du Musée des monuments français, quai des Augustins. Lucien Bonaparte et Carnot, entourés de nombreux officiers, conduisent le cercueil de Turenne sous le dôme de l’église. Devant le char mortuaire, on mène tenu par la bride un cheval pie, semblable, dit-on, à celui que montait le maréchal. Sur un brancard, ajoute le Moniteur, sont placés « l’épée qu’il portait le jour de sa mort et le boulet qui l’a frappé ». Les tambours battent aux champs. Devant Bonaparte, Carnot prend la parole :
— Ce temple n’est pas réservé à ceux que le hasard fit naître, dit-il, sous l’ère républicaine, mais à ceux qui dans tous les temps ont montré des vertus dignes d’elle.
La Décade Philosophique a eu, bien entendu, des propos aigres-doux : « Les républicains voient avec quelque peine qu’on joigne à la fête de la République celle de la translation des reliques d’un maréchal de France dont ils pensent que les exploits ont été surpassés par ceux de nos généraux modernes. »
Mais ce même mois – le 30 – Bonaparte signe cet arrêté : « Le jeune Horace-Camille Desmoulins, dont le père, membre de la Convention nationale est mort sur l’échafaud, victime du tribunal révolutionnaire de Paris, est nommé élève au Prytanée français ».
Toujours la politique de bascule...
Extrémistes jacobins et extrémistes royalistes, également ulcérés de voir la majorité des anciens révolutionnaires et la plupart des émigrés s’incliner devant le nouveau maître, ont repris leur projet : tuer Bonaparte. Dans l’ombre du Consulat, les assassins cherchent le moyen le plus efficace : tirer un coup de pistolet dans le dos de Napoléon pendant une revue au Carrousel, ou – entreprise plus hardie encore – introduire un baril de poudre dans les caves des Tuileries. Particulièrement les royalistes ont la haine chevillée au coeur. Personne ne s’étonne en entendant une femme de la meilleure société souhaiter le plus naturellement du monde que « ses yeux fussent des stylets pour poignarder le tyran des rois, lorsqu’elle
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