Bonaparte
réveillon – les messes de minuit n’ont pas été rétablies, mais les cérémonies sont tolérées dans les églises privées – Bonaparte s’est installé dans le salon jaune de sa femme. Assis au coin du feu qu’il tisonne selon son habitude, il ne semble pas désirer sortir, même pour aller entendre Garat – tout « incomparable » qu’il soit. Il commence même à s’endormir sur un canapé lorsque Joséphine, qui a peut-être commandé une robe pour la circonstance et tient à la montrer, vient le réveiller :
— Allons, Bonaparte, insiste-t-elle, cela te distraira, tu travailles trop.
Mais le consul ferme les yeux et murmure :
— Vous n’avez qu’à partir, je resterai ici.
Enfin après une véritable discussion – s’il faut en croire Hortense – il cède enfin et fait donner l’ordre d’atteler. Bonaparte part le premier, précédé d’une escorte de cavaliers de la Garde des Consuls. Lannes, Berthier et Lauriston ont pris place auprès de lui. Huit heures sonnent au clocher voisin de Saint-Roch, tandis que l’équipage, après avoir traversé le Carrousel, tourne à gauche et s’engage dans la rue Saint-Nicaise. Bonaparte somnole...
Soudain une effroyable explosion déchire l’air.
Le consul réveillé en sursaut, croit qu’il se noie dans le Tagliamento. « Pour comprendre ceci, racontera Las Cases, il faut savoir que quelques années auparavant, étant général de l’armée d’Italie, il avait passé de nuit, en voiture, le Tagliamento, contre l’opinion de tout ce qui l’entourait. Dans le feu de la jeunesse, et ne connaissant aucun obstacle, il avait tenté ce passage, entouré d’une centaine d’hommes armés de perches et de flambeaux. Toutefois, la voiture se mit à la nage, il courut le plus grand danger, et se crut réellement perdu... »
Sa seconde réaction – la déflagration ayant brisé les vitres de la voiture – est celle d’un soldat :
— Nous sommes minés !
La voiture s’arrête après avoir tourné la rue Saint-Honoré et le cocher – César, surnommé Germain – vient prendre les ordres. Il faut repartir au plus vite, sans perdre une minute dont l’ennemi pourrait profiter pour l’abattre, sans même savoir si Joséphine est sortie indemne de l’attentat ! Bonaparte ignore l’importance des forces des conjurés. Peut-être quelqu’un le guette-t-il pour l’abattre... Et il crie :
— À l’Opéra !
Derrière lui, le spectacle est affreux. Si la machine n’a éclaté qu’entre le passage des deux voitures, elle n’en a pas moins fauché la fin de l’escorte, fait une dizaine de morts, blessé vingt-huit personnes et endommagé quarante-six maisons dont certaines, trop détériorées – des plafonds s’étant écroulés – devront être démolies. Partout, des corps étendus, des « membres épars ». Un « désastre » ainsi que le dira Hortense, en entendant Rapp, quelques instants plus tard, résumer la situation dans la loge du consul.
Joséphine et sa fille, en empruntant un autre itinéraire, rejoignent Bonaparte à l’Opéra. Les spectateurs ne se doutent encore de rien. Les trente premières mesures de l’Oratorio étaient à peine jouées lorsque l’on avait entendu « comme un coup de canon »...
Peu à peu, par les aides de camp du Premier consul, la nouvelle – « un bruit sourd », nous dit Laure d’Abrantès – commence à se répandre dans la salle. « À l’instant même, et comme par un coup électrique, une même acclamation se fit entendre, un même regard sembla couvrir Napoléon d’un amour protecteur... On voyait des femmes pleurer à sanglots, des hommes frémissant d’indignation, quelle que fût la bannière qu’ils suivissent... Je regardais pendant ce temps, poursuit Mme Junot, dans la loge du Premier consul, qui, étant immédiatement au-dessous de moi, me permettait de voir et d’entendre presque tout ce qui s’y disait. Il était calme et paraissait seulement fort ému toutes les fois que le mouvement lui apportait quelques paroles fortement expressives relativement à ce qui venait de se passer... »
— Quelle horreur ! Faire périr tant de monde parce que l’on veut se défaire d’un seul homme !
Une immense acclamation monte vers lui. Il salue et décide de regagner les Tuileries. Le salon du rez-de-chaussée donnant sur la terrasse est déjà encombré de fonctionnaires venus aux nouvelles. Les premiers détails commencent à circuler. On apprend avec indignation que le
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