Bonaparte
se donner, afin de faire oublier la première – et fâcheuse – impression.
En lançant son « qu’elle attende », sans doute le Premier consul, absorbé par son travail, ne se souvenait-il que du nez et des sifflements. Cependant, le corps de la comédienne dut lui revenir à l’esprit puisque, apprenant que Mlle Duchesnois était toujours là, il déclara quelque temps plus tard :
— Qu’elle se déshabille et qu’elle se couche !
Ce soir-là, le nez eut le dernier mot car, lors du troisième rappel de la présence de Mlle Duchesnois, Bonaparte ordonna :
— Qu’elle se rhabille et qu’elle s’en aille !
Mlle George, la grande ennemie de Mlle Duchesnois, n’avait pas à craindre pareil traitement, et avec elle les choses allèrent plus loin qu’une étreinte entre deux dictées. Il la remarqua le 28 novembre 1802 au Théâtre-Français, lors d’une représentation d’Iphigénie en Aulide où elle tenait le rôle de Clytemnestre. De son véritable nom : Marguerite-Joséphine « Weimer, enfant de la balle, élève de Raucourt, elle avait alors seize ans. Déjà majestueuse, elle faisait penser à la statue d’une jeune et noble Romaine. « Belle comme l’antique, s’exclamait Mirecourt. Une taille de reine et une beauté splendide ! » Elle non plus ne voulait point garder cachées ces splendeurs, puisqu’elle avait commencé, à quatorze ans, sa vie amoureuse – amours de théâtre, bien sûr – dans les bras d’un acteur, son « beau Lafon », ainsi qu’elle l’appelait. Depuis, elle avait été aimée par Lucien Bonaparte avant le mariage de celui-ci avec Mme Jouberthon, et se trouvait alors la maîtresse du prince polonais Sapieha. Elle n’en fut pas moins quelque peu effarouchée lorsque – le soir même de la représentation d ’Iphigénie en Aulide – Constant vint chez elle la prier, de la part du Premier consul, de se rendre le lendemain, à huit heures du soir, à Saint-Cloud.
— Il désire vous complimenter lui-même sur vos succès, lui annonça le valet de chambre.
L’effarouchement dura seulement quelques secondes :
— Dites au Premier consul, monsieur, que j’aurai l’honneur de me rendre demain à Saint-Cloud. Vous pourrez venir me prendre à huit heures, mais pas chez moi, au théâtre.
Ceci, sans doute, afin que nul ne l’ignore...
Le lendemain, vêtue d’un négligé blanc en mousseline, la tête couverte d’un voile de dentelle et un cachemire sur les épaules – on était en frimaire – elle monte en voiture avec Constant. En arrivant au château, son coeur bat à se rompre, du moins elle le racontera. Précédée par Constant, elle traverse l’Orangerie et, par la porte-fenêtre donnant sur la terrasse, pénètre dans la chambre à coucher où veille Roustam.
— Je vais prévenir le Premier consul...
La voici seule. Un immense lit, un grand divan tout cela lui paraît assez menaçant. Enfin, il entre. « Le Consul, racontera-t-elle, était en bas de soie, culotte satinée blanc, uniforme vert, parements et collet rouges, son chapeau sous le bras. Je me levai. Il vint à moi, me regarda avec ce sourire enchanteur qui n’appartenait qu’à lui, me prit par la main et me fit asseoir sur cet énorme divan, leva mon voile qu’il jeta à terre sans plus de façon... »
Et le dialogue s’engage :
— Comme votre main tremble ! Vous avez donc peur de moi ? Je vous parais effrayant ? Moi, je vous ai trouvée bien belle hier, madame, et j’ai voulu vous complimenter. Je suis plus aimable et plus poli que vous, comme vous voyez.
— Comment cela, monsieur ?
— Comment ! Je vous ai fait remettre trois mille francs après vous avoir entendue dans Émilie... J’espérais que vous me demanderiez la permission de vous présenter pour me remercier. Mais la belle et fière Émilie n’est point venue.
— Mais je ne savais pas, balbutie-t-elle, ne sachant que dire, je n’osais prendre cette liberté.
— Mauvaise excuse ! Vous aviez donc peur de moi ?
— Oui.
— Et maintenant ?
— Encore plus.
Le Consul se met à rire de tout son coeur :
— Dites-moi votre nom.
— Joséphine-Marguerite.
— Joséphine me plaît : j’aime ce nom, mais je voudrais vous appeler Georgina, hein ! Voulez-vous ? Je le veux... Vous ne parlez pas, ma chère Georgina ?
— Parce que toutes ces lumières me fatiguent, faites-les éteindre, je vous prie, il me semble qu’alors je serai plus à l’aise pour vous entendre et vous répondre.
— Ordonnez, chère
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