Bonaparte
Whitworth, que les deux pays ne lui paraissent « pas être en paix, mais seulement en trêve... »
Un mois plus tard, Bonaparte pense que l’heure est venue de mettre la France en garde contre « la perfide Albion »... Le Conseil municipal d’Orléans avait demandé si la ville pouvait rétablir la statue élevée en l’honneur de Jeanne d’Arc. Le Premier consul fait alors écrire au citoyen Crignon des Ormeaux, maire d’Orléans, pour lui faire savoir que ce voeu lui a été « très agréable ». « L’illustre Jeanne d’Arc, précise-t-il, a prouvé qu’il n’est pas de miracle que le génie français ne puisse produire dans les circonstances où l’indépendance nationale est menacée. » Puis, profitant de l’occasion, il ajoute : « Nos voisins, plus calculateurs et plus adroits, abusant de la franchise et de la loyauté de notre caractère, semèrent constamment parmi nous ces dissensions d’où naquirent les calamités de cette époque et tous les désastres que rappelle notre histoire. »
Selon le traité d’Amiens, l’Angleterre devait avoir quitté Malte au mois de septembre 1802. Or, cinq mois plus tard, elle n’avait même pas commencé ses préparatifs d’évacuation. Bonaparte considérait Malte comme un second Gibraltar et estimait que la volonté témoignée par l’Angleterre d’occuper en Méditerranée ces deux positions-clefs démontrait d’une façon évidente « le dessein d’unir au commerce, presque exclusif des Indes, de l’Amérique, de la Baltique, celui de la Méditerranée ». Le 15 février 1803, le Consul précisait encore sa pensée en ces termes : « De toutes les calamités qui peuvent survenir au peuple français, il n’en est point de comparable à celle-là. »
La position anglaise était simple. Hawkesbury l’expliquait au même moment au ministre français Otto :
— Le Piémont a été réuni ; vous êtes sur le point de disposer du sort de l’Allemagne, de la Suisse et de la Hollande et, malgré les déterminations que nous avons prises de ne nous mêler en aucune façon des affaires du Continent, nous y sommes entraînés malgré nous, autant par les plaintes qui nous sont adressées que par l’opinion qui se prononce ici avec une énergie sans exemple.
Pour Londres, le fait que la France avait annexé le Piémont au mois de septembre 1802 – et n’avait point évacué la Hollande – donnait l’autorisation à la Grande-Bretagne de garder Malte. À cet argument spécieux, la France pouvait répondre que le traité d’Amiens ne spécifiait absolument rien au sujet de la Hollande ou du Piémont – c’est le traité de Lunéville, remplacé en quelque sorte par la paix d’Amiens, qui en parlait.
Le 18 février 1803, Bonaparte convoque lord Whitworth, ambassadeur d’Angleterre à Paris, et lui fait une scène violente se prolongeant durant près de deux heures – et en présence du corps diplomatique « muet d’étonnement et de crainte » :
— Eh bien, lance-t-il, le Parlement va s’assembler, ce sera une belle occasion de se déchaîner contre moi. On va tirer sur moi à boulets rouges. En attendant, je vais vous en lancer un à vous : pourquoi aucune des conditions du traité d’Amiens n’ont-elle été remplies par l’Angleterre ?
Tous les griefs ressassés depuis des mois, fusent et s’amoncellent. L’ambassadeur s’entend reprocher un dîner offert par le prince de Galles, qui avait invité en même temps l’ambassadeur de France, le général Andréossy, et le duc d’Orléans – le futur Louis
— Philippe – lequel avait tout naturellement arboré le cordon bleu. La voix du Premier consul tonne :
— Vous voulez la guerre. Nous nous sommes battus pendant quinze ans. C’en est déjà trop. Mais vous voulez la guerre quinze années encore et vous m’y forcez !
Puis, se tournant vers les représentants de la Russie et de l’Espagne, il leur explique :
— Les Anglais veulent la guerre ; mais s’ils sont les premiers à tirer l’épée, je serai le dernier à la remettre. Ils ne respectent pas les traités. Il faut dorénavant couvrir les traités de crêpe noir.
Whitworth préfère se taire et laisser passer l’orage.
— Pourquoi ces armements ? reprend Bonaparte en élevant encore la voix. Contre qui ces mesures de précaution ? Je n’ai pas un vaisseau de ligne armé dans les ports de la France. Mais si vous armez, j’armerai aussi. Vous pouvez peut-être tuer la France, mais l’intimider, jamais
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