Bonaparte
Georgina.
Selon Mlle George, dans ses Mémoires, – coquette rie de vieille dame écrivant ses souvenirs un demi-siècle plus tard... – elle demeura jusqu’à cinq heures du matin auprès du Consul et – chose difficilement croyable – il ne se passa rien. Simplement, apprenant que son voile était un cadeau du prince Sapieha, Bonaparte le déchira « en mille petits morceaux ». Pour le remplacer, Constant dut aller chercher « un cachemire blanc et un grand voile d’Angleterre »... vraisemblablement dans la garde-robe de Joséphine.
Mlle George nous raconte ses quatre nuits de Saint-Cloud. S’il faut la croire, c’est seulement lors de la troisième nuit qu’elle devint sa maîtresse : « Il défaisait petit à petit toute ma toilette. Il se faisait femme de chambre avec tant de gaieté, tant de grâce et de décence qu’il fallait bien céder, en dépit qu’on en ait. Et comment n’être pas fascinée et entraînée vers cet homme ? Il se faisait petit et enfant pour me plaire. Ce n’était plus le Consul, c’était un homme amoureux peut-être, mais dont l’amour n’avait ni violence, ni brusquerie ; il vous enlaçait avec douceur, ses paroles étaient tendres et pudiques : impossible de ne pas éprouver près de lui ce qu’il éprouvait lui-même. Je me séparai du consul à sept heures du matin... Pendant les quinze premiers jours, il a satisfait à ma scrupuleuse délicatesse, et j’ose dire à ma pudeur, en réparant le désordre des nuits, en ayant l’air de refaire le lit. Il faisait ma toilette, me chaussait et même, comme j’avais des jarretières à boucles, ce qui l’impatientait, il m’a fait faire des jarretières fermées que l’on passait par le pied. »
Lui, qui a horreur des « abats canailles », selon son expression, est émerveillé par les mains de Georgina. Des mains « frappées de fossettes, dira Théophile Gautier, de vraies mains royales faites pour le sceptre ». Les pieds sont moins heureux. À quelqu’un qui s’exclamait : « Elle a un port de reine ! », un plaisantin aurait ajouté : « Et des pieds de roi »...
« Il riait, racontera-t-elle encore, il jouait avec moi, il me faisait courir après lui. Pour éviter de se laisser attraper, il montait sur l’échelle qui sert à prendre les livres, et moi, comme l’échelle était sur roulettes et très légère, je promenais l’échelle dans toute la longueur du cabinet, lui riant et me criant :
— Tu vas me faire mal ! Finis où je me fâche ! »
Toute la vie de Georgina fut illuminée par son aventure. Lorsqu’elle parlait de Napoléon, ce n’était qu’avec un tremblement dans la voix.
— Il me quitta pour se faire empereur, dira-t-elle.
Fort âgée, tombée dans la misère, elle joua la comédie jusqu’au-delà des limites du possible. Henri de Rochefort se souvenait l’avoir vue, sortant du théâtre des Batignolles, courir après l’omnibus sous une pluie battante... Devenue monstrueuse de grosseur, elle mourut à la fin du Second Empire, le 11 janvier 1867 – elle avait près de quatre-vingts ans – et son convoi fut payé grâce à une collecte faite dans les coulisses des théâtres de Paris. De toutes les générosités impériales il ne demeurait rien, et pourtant l’Empereur l’avait comblée. Un soir, il lui « fourra dans la gorge » un gros paquet de billets de banque – 40 000 francs :
— Pourquoi me donnez-vous tout cela ?
— Je ne veux pas que ma Georgina manque d’argent pendant mon absence.
« Jamais l’Empereur ne m’a fait remettre d’argent par personne. C’était toujours lui qui me le donnait. Il fut plus tendre, ce soir-là, que je ne l’avais encore vu »...
Quarante mille francs – chiffre à multiplier au moins par cinq ! Et pour une absence de quelques semaines ! Bonaparte devait, en effet, aller inspecter le camp de Boulogne et les côtes de la mer du Nord, car la guerre allait reprendre.
XX
PREMIER COUP DE CANON
D’UNE GUERRE DE DOUZE ANNÉES
C’est avec horreur que je fais la guerre.
N APOLÉON .
D EPUIS le 28 décembre 1802, on se trouvait « en froid » avec l’Angleterre. Le Premier consul « surpris et affligé » avait appris que ce jour-là, le comte d’Artois s’était permis de passer en revue un régiment anglais en arborant les ordres de l’ancienne monarchie !
— C’est là une injure perpétuelle faite au peuple français.
Bonaparte est en droit de dire à Talleyrand, pour qu’il le transmette à lord
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