Bonaparte
gagner la Prusse en lui donnant un os à ronger. Je n’ai en Europe que l’Autriche à redouter.
À Saint-Cloud, le 12 juin, après avoir assisté à la représentation d ’Esther, il accueille l’ambassadeur russe Markof.
— C’est avec regret, avec horreur, lui dit-il, que je fais la guerre... Car, parlant en Européen plutôt qu’en Français, je serais tout aussi affligé que vous, si, en vous levant un beau matin, vous appreniez que l’Angleterre n’existe plus.
Le duc d’Enghien verra juste en écrivant à son grand-père :
« Positivement Bonaparte est désolé de la guerre et ne la veut pas. »
Ce mois de juin est pour lui une veillée d’armes. « Tout marche, autour de Bonaparte, avec une célérité proportionnée à sa bouillante ardeur, écrit un agent royaliste le 21 juin 1803. Immédiatement après le départ de l’ambassadeur anglais, il a employé trois jours et trois nuits à un travail relatif aux circonstances, toujours debout et employant trois ou quatre secrétaires à la fois. Vers la fin du quatrième jour, se sentant violemment agité, il se mit au bain, y resta six heures pendant lesquelles il dicta des dépêches de la plus haute importance. Il se mit enfin au lit, donna ordre de l’éveiller à trois heures pour recevoir cinq ou six courriers qu’il attendait pendant la nuit. C’est ainsi qu’il expédie les affaires. Il faut que tout ce qui l’entoure montre la même diligence ; s’engager à son service, c’est s’engager à n’avoir plus de repos ni jour ni nuit. Il ne donne que dix-sept jours à ses courriers pour faire le voyage de Pétersbourg à Paris et de même pour les autres courses. Quand un homme doué d’un tel caractère, conclut l’informateur en prévoyant fort bien l’avenir, se trouve à la tête de la nation la plus vive et la plus active et dispose de ressources infinies et d’une armée qui a vaincu l’Europe, il y a de quoi trembler pour l’Univers. »
On voit l’Angleterre témoigner de l’inquiétude en apprenant que le Consul commence un vaste périple à travers le nord de la France et la Belgique. Randonnée d’inspection des places et des ports d’où partirait – Bonaparte l’espérait alors – l’armée d’invasion qui porterait la guerre sur le sol britannique.
Un vrai voyage de souverains commence. Joséphine l’accompagne. Dès le lendemain de leur départ – le 26 juin 1803 – en arrivant à Amiens, il écrit à Cambacérès : « J’ai lieu d’être très satisfait de l’esprit de cette ville et de toutes les communes que j’ai traversées. Partout j’ai reçu l’expression des sentiments qui animent la nation dans la guerre injuste que nous sommes obligés de faire. » L’ivresse est totale. Le Journal des Débats raconte l’histoire d’une jolie et jeune Amiénoise qui, « n’ayant pu résister à l’impression qu’elle éprouvait », tombe devant Bonaparte, « et cela uniquement par l’effet d’une sensation involontaire, car elle n’avait rien à demander ». Après avoir inspecté les côtes durant six heures, le Consul arrive à Abbeville. Des tapis cachent les pavés et on a planté des arbres afin de transformer les rues en avenues.
« Ce ne sont pas les villes et les administrateurs qui peuvent commander des fêtes, ainsi que l’écrit Siméon à Thibaudeau, c’est le peuple des campagnes qui accourt de toutes parts et de plusieurs lieues pour le voir. » Tous s’extasient de le trouver « si simple et si joyeux ». Le lendemain, à trois heures de l’après-midi, Bonaparte passe par Etaples. Le maire – Prévost-Labas – l’appelle « ange tutélaire de la Patrie », et prédit que « sur les débris de la Tour de Londres il proclamerait l’éternelle liberté des mers ! »
La nuit est tombée lorsqu’il atteint Boulogne véritablement parsemé d’arcs de triomphe fleuris. Le préfet – Lachaise – affirme que tout son département offre au Premier consul ses bras et ses coeurs. Puis il ajoute que, « pour assurer la paix sur la terre, Dieu créa Bonaparte et se reposa... »
L’amiral Bruix aurait achevé la phrase en disant à voix basse au Premier consul :
— Et pour qu’il fût plus à son aise, Dieu créa aussi Lachaise.
Napoléon et Joséphine s’en vont ensuite loger place d’Armes, au magnifique hôtel des Androuins : la foule les acclame longuement. De la terrasse aujourd’hui disparue, ils pourront, le lendemain, admirer le port et la rade.
Dès cinq
Weitere Kostenlose Bücher