Bonaparte
heures du matin, Bonaparte est debout et se fait conduire vers les forts qu’il visite minutieusement. Il inspecte même les bureaux des douanes qui ne l’attendaient guère. Il pense déjà à faire élever une baraque sur le « point le plus dominant », c’est-à-dire sur la falaise de la Tour d’Ordre d’où, ainsi qu’il le dira un peu plus tard à l’amiral Bruix, « on pourra facilement s’y tenir pour donner là des ordres dans les nuits importantes de l’embarquement ».
Le 9 juillet – après avoir été acclamé à Calais, à Dunkerque et à Lille – il pénètre en Belgique. L’enthousiasme est stupéfiant. « Ces bons Belges, écrit Soult, qui jamais peut-être n’ont éprouvé de grande émotion et qui sont froids par caractère, s’épuisent en démonstrations d’une vive allégresse. » Napoléon est traité en monarque. Partout il est accueilli par deux ou trois dizaines de jeunes filles vêtues de blanc, flanquées de cavaliers réunis en escadrons ‘honneur.
À Gand, les habitants n’ont quitté leur air maussade qu’en voyant le Premier consul et son épouse se rendre à Saint-Bavon pour entendre la messe. Le maire proteste lorsque Bonaparte, énumérant les principales ressources de la ville, le félicite de posséder treize raffineries :
— Il n’y en a que neuf !
— Treize, confirme un conseiller.
On fait le compte : Bonaparte et le conseiller ont raison. On devine l’étonnement du maire en constatant que le Premier consul connaît mieux sa ville que lui-même, qui l’administre depuis dix ans. Chaptal, qui nous rapporte ce trait, nous peint le futur empereur, ce 18 juillet, traversant l’Escaut devant Anvers, à la Tête de Flandre.
— Quelle est la profondeur du fleuve ? demande Napoléon.
— Vingt-deux pieds, lui répond-on.
— La profondeur est-elle la même jusqu’à Flessingues ?
— Oui.
Il se tourne alors vers le ministre de la Marine :
— Combien de pieds d’eau prennent les vaisseaux de 14 ?
— Vingt-deux pieds quand ils ne sont pas armés, et vingt-cinq lorsqu’ils le sont.
— Cela me suffit. Je veux faire ici un grand port de construction, capable de recevoir vingt-deux cales.
Il s’adresse alors à Chaptal :
— Demain, vous m’achèterez ce grand couvent qui est là, vis-à-vis, et toutes les maisons contiguës.
Puis il ordonne encore à Decrès :
— Vous acquerrez tout le terrain nécessaire pour placer vingt-deux cales.
Les acquisitions sont effectuées dès le lendemain. Il décide également de faire venir, comme manoeuvres, à Anvers, six cents forçats de Brest et de traiter pour vingt-cinq millions de fournitures.
À Anvers, l’enivrement est indescriptible. Illuminations, banquets, réceptions se succèdent. C’est « un délire d’acclamations ». L’expression est d’un royaliste, qui précise : « Les lettres particulières attestent l’ivresse et l’empressement du peuple ; on se porte réellement en foule autour du grand homme, on est heureux d’en recevoir un regard, une parole... » On le harangue en l’appelant Napoléon le Grand, et pour la première fois, le mot « empire » est prononcé.
Comme le remarquait Mme de Staël : « les institutions monarchiques s’avançaient à l’ombre de la République ». Ce n’est pas à un roi que la République compte se donner, mais à celui qui va devenir l’empereur de la Révolution. L’agent de Louis XVIII annonce encore à son maître : « Quelques-uns assurent que son dessein est de se faire couronner empereur à Bruxelles. C’est pour cela, dit-on, qu’il a rassemblé dans cette ville le Conseil d’État et tous les ministres. C’est surtout dans cette vue qu’il fait venir le cardinal-légat, sans doute pour lui faire faire la cérémonie du sacre. D’autres prétendent que c’est à Aix-la-Chapelle, capitale de l’ancien Empire des Gaules, et sur le tombeau de Charlemagne, qu’il veut ressaisir son héritage. »
Mais à Bruxelles, il ne se passe rien de tel Bonaparte semble n’avoir en tête que ses projets de débarquement en Angleterre. Il le confie au secrétaire du roi de Prusse :
— Je puis échouer, les armes sont journalières, mais je puis réussir aussi... Jugez du chaos qui en résulterait pour le commerce et les fortunes !
Dès son retour à Paris, Bonaparte, tout en reprenant sa vie officielle, multiplie ses préparatifs. Il crée même une compagnie de « guides interprètes ». En même temps, il fait activer les
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